Occupée depuis le 26 mars 2018, la fac de Tolbiac (Paris I), est devenue le QG de la mobilisation contre la sélection à l’université. Le journal minimal donne la parole aux étudiants communards.
C’est un mini monde clos, en plein cœur de Paris. Une ruche où des centaines d’étudiants rejouent la Commune de 1871, du moins dans son appellation. La Commune libre de Tolbiac désigne le blocage du centre Pierre-Mendès-France de l’Université Panthéon-Sorbonne, depuis fin mars, en réaction à la promulgation de la loi Orientation Réussite Étudiante (ORE) par Emmanuel Macron. « Ils sélectionnent, nous occupons », lit-on ainsi en lettres géantes sur le mur qui les sépare du monde extérieur.
Derrière les barricades, à l’abri des regards et des caméras, c’est l’autogestion qui prévaut avec le plus grand amphi transformé en dortoir, une cafétéria réorganisée en cuisine et des lavabos de toilettes pris d’assaut par les dizaines de brosses à dents d’étudiants désormais chez eux, ou presque.
À l’image des revendications, les tags qui ornent les murs évoquent autant les slogans libertaires de Mai 68 que ceux des zadistes actuels. Mais si les mots d’ordre et les moyens d’action divergent parfois, les « communards » se rejoignent sur le refus d’une université de plus en plus sélective et la volonté d’étendre leur mouvement au-delà des murs de la fac. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux battront le pavé ce jeudi 19 avril, lors de la manifestation interprofessionnelle pour faire converger les luttes aux cris de « Etudiants, cheminots, précaires, même Macron, même combat ! ». Micro-trottoir.
• Vincent, 25 ans : « Un sentiment grisant de liberté »
« Je suis venu tôt ce matin de l’Yonne où j’habite pour venir aider les occupants de Tolbiac. La Commune libre se bat d’abord contre la sélection à l’université, c’est une mobilisation contre la loi ORE (Orientation Réussite Étudiante, promulguée par Emmanuel Macron le 8 mars 2018) portée par la ministre Frédérique Vidal. C’est notre combat commun, ensuite il y a beaucoup d’opinions qui s’expriment. Certains sont pour un système universitaire totalement rénové, d’autres souhaitent une convergence des luttes […] Toutes les idéologies de gauche s’expriment ici ainsi que quelques courants apolitiques, mais les partis politiques traditionnels ne sont pas trop représentés.
Pour nous les étudiants, c’est aussi l’occasion de nous réapproprier un bâtiment familier et d’habitude très hiérarchisé avec nos propres règles. C’est une expérience étrange, un sentiment grisant de liberté !
À l’intérieur de la Commune libre, tout est autogéré et chacun participe aux différentes tâches : ménage, cuisine, café… Chacun appose son nom sur une affiche qui liste les différentes tâches à faire. Tout n’est pas parfait, mais ça fonctionne plutôt bien. »
• Zoé, 19 ans : « L’occupation nous permet de faire des choses très belles »
« Je dors sur place depuis trois semaines, donc la fac c’est devenu un peu chez moi. Si j’habite ici, c’est pour défendre notre mobilisation jusqu’à ce que la loi ORE soit retirée. Je suis prête à rester à Tolbiac, jusqu’à l’été et même à le passer ici, si besoin.
L’occupation nous permet de faire des choses très belles et de repenser la société sur un mode plus horizontal, hors du rapport dominant/dominé. Ici, on doit tous être conscients de tous ces rapports de domination pour éviter justement de les reproduire dans la Commune de Tolbiac. Par exemple, pour dormir, on a une zone non mixte dans l’amphi réservée aux femmes et aux minorités de genre, on fait des AG non mixtes… »
• Martin, 26 ans : « On est solidaires des autres luttes en cours »
« Cela fait presque trois semaines qu’on occupe la fac ici. La Commune libre de Tolbiac est un hommage à la Commune de 1870, mais c’est aussi une université ouverte qui essaie de proposer des plans alternatifs d’enseignement et de formation et de rendre l’université à ses usagers […]. On est solidaires des autres luttes en cours, d’ailleurs beaucoup d’entre-nous manifestent avec les cheminots. Le but, c’est de lutter de manière générale contre la casse du service public. Dans les universités, on est particulièrement visés surtout depuis la loi LRU de 2007 [loi Pécresse qui donnait plus d’autonomie aux universités, notamment dans le domaine budgétaire N.D.R.], avec de moins de moins de moyens. Et ça se voit ici à Tolbiac : on nous accuse de dégrader les locaux, mais les locaux sont déjà extrêmement vétustes. Ils ne sont pas complètement désamiantés, des fenêtres tombent, on est 40 étudiants par salle de TD [travaux dirigés, N.D.R.].
Aujourd’hui, il y a une volonté de casser l’esprit de solidarité, c’est certain, mais il ne faut pas céder au pessimisme et continuer à lutter, car il y a plein d’autres projets de vie anticapitalistes qui émergent aussi. C’est pour ça que nous sommes pleinement solidaires par exemple de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et qu’on a aussi baptisé notre mouvement, ‘la ZAD de Tolbiac’. »
• Chako, 20 ans : « J’espère une révolution anticapitaliste »
« Au début, le fonctionnement était assez chaotique ici, mais on apprend au fur à mesure à mieux s’organiser. Aujourd’hui, chaque amphi de la fac a une fonction spécifique. Il y a un grand amphi dédié au repos, où il fait noir et frais tout le temps, où l’on peut venir dormir n’importe quand. Tous les matins, entre 6h et 7h, un grand ménage est fait pour bien débuter la journée. On a aussi une salle de travail, des amphis dédiés aux débats et conférences […].
Il y a des querelles politiques bien sûr, mais je pense que chacun apporte sa pierre : trotskistes, communistes, anarchistes, syndicalistes… L’occupation nous permet aussi de nous familiariser avec le débat et la politique […]. Ce qui est démoralisant, c’est de devoir lutter pour la préservation du service public qui était une évidence il y a quelques années. Je pense qu’une partie de l’opinion est un peu résignée. J’espère que cette mobilisation permettra de préserver le service public, mais ira aussi plus loin, jusqu’à une révolution anticapitaliste et une grande grève générale ! »
• Clément, 20 ans : « L’envie d’autre chose »
« J’occupe Tolbiac depuis fin mars. À chaque fois que les cours n’ont pas lieu, c’est aussi pour nous l’occasion de développer d’autres savoirs qui ne soient pas uniquement de la consommation. Un prof d’histoire d’ici a par exemple animé un atelier sur la place des femmes pendant la Commune, mais d’autres personnalités sont intervenues comme Assa Traoré (la sœur d’Adama Traoré, tué par la police en 2016), ou encore des cheminots qui sont venus discuter avec nous […].
La Commune de Tolbiac rend hommage à la Commune de Paris et la proclamation de l’indépendance d’un territoire par rapport à une autorité donnée. Pour nous, c’est aussi et surtout une grève, nous refusons de laisser tourner cette usine à savoirs qu’est devenue l’université française. Ce n’est pas simplement un refus de travailler, c’est l’envie d’organiser des luttes, de se retrouver, de tisser des liens…
Depuis l’élection de Macron il y a un an, il se passe enfin quelque chose pour lutter contre ce monde où nos réalités sociales sont atomisées et où apparaissent des tendances autoritaires. Par la grève, on apprend à échanger et s’entraider alors que la société est plus en plus individualiste et divisée. Quelle que soit l’issue de ce mouvement, c’est encourageant car nous sommes en train d’apprendre à nous défendre ! »
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2 réponses
Bravo, merci pour ce reportage et ces interview. J’ai fait toutes mes études de philo à Tolbiac, et je connais ce bâtiment pour y avoir fait des AG. L’aspiration des étudiants est celle d’autres personnes, salariés, collégiens, retraités, cadres. Il faut donner la voix à toutes ces aspirations pour un monde différent. Merci au Journal Minimal.
Merci beaucoup Pierre pour votre retour. Il est vrai que les étudiants de Tolbiac semblent avoir les mêmes aspirations que beaucoup d’autres… Toutes ces revendications vont sans doute converger bientôt!