Gilles de Maistre, réalisateur de « Mia et le lion blanc » : « Mon film dénonce le business de la chasse aux fauves »

Mia et le lion blanc raconte l’amitié entre une fillette et un grand fauve dans une ferme d’élevage en Afrique du sud. Un mois après sa sortie, le film dépasse le million d’entrées dans l’Hexagone. Interview du réalisateur, Gilles de Maistre.

Mia et le lion blanc, affiche du film.
L’affiche du film, dans les salles de cinéma en France depuis le 26 décembre 2018. Réalisation: Gilles de Maistre.

Mia et le lion blanc est un conte écologique. Le film nous emmène à la découverte de la savane sud-africaine et d’une ferme d’élevage de lions tenue par une famille composée d’une mère française aimante (l’actrice Mélanie Laurent), d’un père qui tente d’éviter le business local légal de la chasse en enclos tout en élevant des félins, et de deux gamins dont Mia (Daniah de Villiers). Rebelle dans l’âme, la fillette va s’attacher à un lionceau blanc nommé Charlie (Thor).

Et voilà le spectateur embarqué dans un récit initiatique où l’on voit Mia et le lion grandir ensemble et développer une incroyable amitié. La particularité de ce film, outre celle de dénoncer le massacre d’une espèce en voie d’extinction, réside dans le fait que la relation entre Mia et Charlie existe réellement dans la vraie vie entre Daniah et Thor. Cela donne à l’écran une expérience authentique et unique.

Vous racontez l’histoire d’une famille, autour de la légende du lion blanc du Timbavati (région d’Afrique du Sud). Pourquoi ce choix ?
Le lion blanc du Timbavati est l’animal sacré des Shangaans [peuple qui vit entre le Parc Kruger et les montagnes du Drakensberg, N.D.L.R.], ils attendent son retour. Le conte était un point de départ pour ramener le lion chez lui. C’est une fiction mais la toile de fond, la chasse aux lions, les touristes qui viennent, tout ce business est réel.

Mélanie Laurent, la seule française du film, joue la mère de Mia, comment ce choix s’est-il opéré ?
On cherchait une actrice française connue pour porter le film et Mélanie Laurent fait partie des rares comédiennes engagées sur toutes ces causes-là. On lui a donné le scénario sans la connaître et le lendemain elle a appelé en disant qu’elle voulait le faire malgré la complication que c’était pour une star de s’engager sur trois ans.

Mia et le lion blanc
Les acteurs : Mélanie Laurent (la mère), Ryan Mac Lennan (le fils), Thor (le lion), Daniah de Villiers (Mia), Langley Kirkwood (le père). Photo: Coert Wiechers (pour Galatée Films – Outside Films).

Vous avez eu recours à l’expertise du zoologiste sud africain Kevin Richardson. Peut-on revenir sur votre rencontre avec lui ?
J’avais vu des images de lui sur Internet, je le trouvais assez marrant et puis j’ai proposé à France 2 de réaliser un documentaire sur lui [L’homme qui murmure à l’oreille des lions, diffusé sur FranceTV en2013]. Je suis allé le voir en Afrique du sud, on s’est tout de suite bien entendus.

Quelques années auparavant, j’avais filmé des enfants qui avaient des liens avec les animaux sauvages un peu partout dans le monde, notamment un petit garçon en Afrique du sud dans une ferme d’élevage de lions. Il était complètement fan des animaux, ses parents avaient l’air d’élever des lions pour la protection de la nature. Mais lorsque j’ai quitté la ferme on m’a dit que je m’étais fait avoir parce qu’en fait les lions étaient destinés à la chasse, alors que moi j’y avais cru. J’étais très choqué, je me suis dit qu’ils mentaient à leur enfant et je me suis demandé ce qui allait se passer le jour où le petit garçon allait découvrir la vérité.

J’avais tellement de mal à le croire que j’ai engagé une discussion là-dessus avec le zoologiste Kevin Richardson, qui m’a confirmé que la ferme était connue pour ça. On a beaucoup parlé de la chasse ensemble et j’ai fini par lui proposer de faire un film.

Kevin Richardson a une approche éthologique avec les animaux sauvages, c’est à dire qu’il met en place une relation de confiance, n’est-ce pas ?
Il crée un lien avec les lions. Sa méthode est plus sécurisante que l’approche classique, qui repose sur la contrainte, la force, la peur et la domination. Kevin est à l’opposé de cela, lui mise sur le respect et l’amour et c’est cela qui est intéressant. Et puis, on ne peut pas demander à une fille de onze ans de dominer un lion. Déjà pour un homme c’est compliqué, alors un enfant… Donc nous sommes partis sur une création de lien au quotidien entre le lion et Mia.

Mia et le lion blanc
Photo : Coert Wiechers (pour Galatée Films – Outside Films).

J’ai vu des images du tournage où l’on voit l’équipe en cage et le lion en liberté, c’est assez amusant comme renversement de situation. Comment tourne-t-on un film avec un lion, j’imagine que vous deviez redoubler de sécurité ?
Oui, il n’y avait que Daniah de Villiers (Mia) et Kevin Richardson qui pouvaient approcher Thor, le lion qui joue Charlie, parce qu’ils avaient créé une relation avec lui. Et nous, nous étions tous dans des cages car nous n’avions pas créé ce type de relation et qu’évidemment le lion est extrêmement dangereux et ingérable. Quand Thor était encore petit, nous pouvions l’approcher mais à partir d’1 an 1/2, ça a été fini. Il y avait des règles de sécurité très strictes sur le tournage. Quand on tournait des scènes dans des endroits publics, toute l’aire de tournage était entourée d’une clôture électrique. Nous n’étions jamais en contact direct avec le lion.

Pourquoi avoir orienté votre récit sur le canned hunting, la « chasse en enclos » des animaux sauvages (d’ailleurs on appelle cela « chasse en enclos » mais j’ai plus l’impression qu’il s’agit d’exécutions en réalité) ?
Tout à fait, on appelle cela « chasse en boîte », « chasse en enclos » mais c’est un assassinat. J’avais vraiment envie de raconter cette histoire. Et puis c’est une belle allégorie sur notre monde. On se sert de la nature pour s’amuser, pour se distraire, on l’utilise jusqu’à la corde comme si on vivait dans un jeu vidéo.

Mia et le lion blanc est diffusé partout dans le monde sauf en Afrique du Sud, comment expliquez-vous cela ? Est-ce une censure ?
Je ne pense pas, mais c’est marrant que le seul pays qui n’ait pas acheté le film soit l’Afrique du sud. Il faut dire que les films sur la nature et les animaux ne marchent pas en salle chez eux, du coup les distributeurs ne s’y intéressent pas, sauf quand les films ont du succès à l’étranger. Alors si le film passe bien, ils le prendront. Cela dit, s’il n’y a pas eu de censure, il y a peut-être quand même eu une mauvaise réaction : nous voulions associer l’office du tourisme de l’Afrique du sud à la sortie du film pour faire gagner un voyage et quand ils ont vu le film ils ont refusé. Sans doute par honte car le canned hunting est légal là-bas.

Espérez-vous que ce film change quelque chose ?
J’ai fait ce film pour que mes enfants (j’en ai 6, dont 4 qui ont entre 2 et 8 ans) aient envie de participer à la sauvegarde de la nature. C’est à cet âge-là et avec ce type de message que les enfants s’investissent fortement et en grandissant, ils auront probablement envie de changer le monde, c’est un peu l’idée.

Mia et le lion blanc
L’actrice Daniah de Villiers (Mia) et le réalisateur du film, Gilles de Maistre, sur le tournage. Photo: Joe Alblas (pour Galatée Films – Outside Films).

Quand on réalise un tournage long, sur trois ans, comme celui-ci, comment cela se passe-t-il et comment en ressort-on ?
Cela m’a pris beaucoup d’énergie donc là il faut que je me repose. C’était prenant et lourd à porter et à la fois c’était un bonheur, une aventure que j’ai voulue. J’aime faire des films comme ça, en contact avec la vraie vie, avec de vrais enjeux et un challenge.

Les réalisateurs préfèrent généralement mettre des fonds verts et des acteurs avec des capteurs, c’est plus simple et après tout se cale en post-prod en buvant un coca. Bon, moi je ne tourne pas comme ça, on était dans la savane avec un lion et une petite fille. C’est extraordinaire, vous avez les poils qui se dressent en tournant les images mais vous vous demandez aussi par moments si vous n’êtes pas fou. C’est un engagement à tous les niveaux.

Vous avez eu des frayeurs ?
Oui. Je n’y connais rien en lions. J’avais confiance en Kevin Richardson mais il y a eu des moments de doute, même s’il ne prenait aucun risque puisque quand il disait que c’était fini, on arrêtait de tourner avec le lion. Tout s’est bien passé grâce au lien particulier que Kevin a noué avec les fauves. Mais cela fait peur de tourner avec des lions. S’ils avaient voulu détruire la cage dans laquelle on filme, ils auraient pu le faire.

Il y a une scène où l’on voit Mia tourner le dos à Charlie en jouant avec lui, n’était-ce pas risqué ?
On l’a fait après, pour faire vibrer le spectateur, mais en soi il n’y avait rien de dangereux. Le lion saute sur la fillette pour jouer avec elle, il ne met pas les griffes. Il était trop content. Ils l’ont d’ailleurs fait plusieurs fois. Le seul problème qu’elle avait, c’était qu’elle ignorait à quel moment il allait lui sauter dessus donc il y avait un réel effet de surprise, et cela reste quand même un lion d’une trentaine de kilos !

Mia et le lion blanc
Photo : Kevin Richardson (pour Galatée Films – Outside Films).

Que vous reste-t-il de ces trois ans en Afrique du sud ?
Une expérience vécue en famille, j’ai même eu un de mes enfants durant le tournage. Et c’est ma femme qui a signé le scénario de Mia et le lion blanc : on a imaginé et rêvé le film ensemble. Ce n’est pas un travail, c’est notre vie, nous mélangeons tout. D’ailleurs, nous partons deux ans au Canada pour tourner un nouveau film au milieu des animaux.

Vous restez sur le thème des animaux…
Oui, on va tourner avec un loup et un lion. Ce sont deux bébés, frères de lait, recueillis par une femme. Ils vont être enlevés mais ils vont tout faire pour aller la retrouver. Ce sera une grande aventure à travers le Canada sauvage.

Un autre de vos films sort cette année, de quoi s’agit-il ?
Le film s’appelle Demain est à nous, c’est un documentaire sur les enfants militants, qui se battent pour améliorer leurs conditions de travail, en finir avec le mariage forcé, aider des SDF dans la rue… C’est un tour du monde des enfants qui s’engagent. Ça sortira le 25 septembre 2019 chez Disney.

Vous considérez-vous comme un réalisateur »engagé » ?
Même si j’ai mon avis sur le sujet, je n’ai pas d’engagement politique. Je suis surtout engagé émotionnellement. Je raconte et je partage des histoires qui me touchent.


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À propos de l'auteur
Journaliste, je suis aussi dessinatrice, peintre, photographe, auteur de livres et de vidéos, sous le nom ABK.
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Une réponse

  1. J’ai vu le film la semaine dernière !! je l’ai trouvé vraiment sublime et très émouvant… un chef d’œuvre !! Quelle chance pour cette jeune fille d’avoir pu tourner avec ce lion… un rêve pour moi qui adore tous les animaux – je conseille vivement de voir ce film, que du bonheur, mais un conseil pour les personnes sensibles très proches des animaux n’oubliez pas de prendre des mouchoirs, tellement d’émotions , que j’ai pleuré – je retournerai le voir s’il repasse dans ma vile !!! un grand merci au réalisateur Gilles de Maistre et aux acteurs qui ont joué comme si c’était dans la vraie vie !!

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