Reportage à Tokyo : une nouvelle librairie propose depuis quelques mois un seul livre à la vente. Le maître des lieux, Yoshiyuki Morioka, se positionne contre la surabondance.
Quelle est cette petite boutique vers laquelle les gens se pressent, dans une ruelle du quartier Ginza, l’épicentre historique du shopping à Tokyo ? « Une seule pièce avec un seul livre », est-il écrit sur la devanture de la toute jeune librairie Morioka, ouverte depuis le 5 mai 2015.
Le fondateur du lieu, Yoshiyuki Morioka, y promeut chaque semaine un ouvrage de son choix. Le lieu lui-même participe de ce retour à l’essentiel. Les murs, sol et plafond en béton brut ont été recouverts d’une peinture blanche. Pour tout mobilier la librairie compte des tréteaux, deux planches et un comptoir à tiroir faisant office de bureau.
Un strict minimum qui d’après Yoshiyuki Morioka invite à se focaliser sur le livre du moment et son univers : « Ici, le lecteur est invité à entrer dans un livre, comme on entre dans une pièce. »
Pour ce faire, le libraire sélectionne des créations en lien avec l’ouvrage de la semaine – peintures et autres supports –, et transforme le lieu en une galerie dont l’œuvre centrale est le livre de la semaine.
La majorité du temps, il n’expose qu’une seule copie de l’ouvrage. Il arrive qu’il en dispose plusieurs, cela dépend du livre.
Les visiteurs s’adaptent : passants ou habitués, ils feuillettent l’ouvrage, parfois l’unique exemplaire mis à disposition, chacun à leur tour. La configuration, la proximité, l’objet unique, tout ici incite à l’échange. Engager la conversation, voilà ce que souhaite Yoshiyuki Morioka.
Le maître des lieux baigne dans le monde du livre depuis près de 20 ans maintenant. Il a commencé à Kanda, le quartier des ouvrages d’occasion de Tokyo, avant d’ouvrir une première librairie conventionnelle. Pendant plusieurs années, il a organisé des soirées de lecture autour d’un livre, souvent en présence de l’auteur.
CRÉER UN ESPACE DE RENCONTRE ENTRE AUTEURS ET LECTEURS
« J’ai eu alors envie de revenir à ce qu’est pour moi l’essence de mon métier. Faciliter la rencontre. Mon idée était de créer un espace physique où puisse émerger cette heureuse et authentique conversation entre les écrivains et les lecteurs, un livre à la fois », explique-t-il.
Lorsque, son idée en tête, il s’est mis en quête d’un lieu adapté pour concrétiser sa vision, il est tombé sous le charme de cet espace situé au rez-de-chaussée du bâtiment Suzuki.
Construit en 1929, l’édifice classé au patrimoine de la ville a accueilli dans les années 30 la maison d’édition Nippon-Kobo. Cette dernière a édité Nippon, le premier magazine de propagande d’État destiné à promouvoir à l’étranger une certaine vision de la modernité japonaise, à travers la photographie et le design.
Le libraire s’amuse de la coïncidence, car il se voit à son tour dans un acte de « propagande », en tout cas dans un plaidoyer pour une nouvelle forme de modernité : celle du minimalisme et de l’authenticité.
Tout au long de la semaine, Yoshiyuki Morioka organise des rencontres avec l’auteur pour stimuler cette entrée dans l’univers du livre. Il investit le sous-sol de la librairie, parfois pour des ateliers en lien avec l’ouvrage. Ce désir relationnel n’est pas sans conséquence. Lorsqu’il parle chiffres, le libraire sourit, conscient d’être en dehors des ratios du métier. « Une trentaine de titres ont été présentés ici depuis l’ouverture de la librairie. Pour le même espace, une boutique conventionnelle pourrait référencer jusqu’à 3 000 titres ! »
Photos : Camille Delbos
4 réponses
Bonjour,
Il serait intéressant d’en savoir plus sur le modèle économique de cette librairie hors-normes, qui relève finalement plus de la galerie d’art que de la librairie. Merci pour cette découverte !
Bonjour Caroline,
Le maître des lieux possède également une seconde librairie plus conventionnelle. Il reste cependant très discret sur l’équilibre économique global de ses boutiques.
Vous auriez quand même pu penser à mettre l’adresse !
Bonjour Nicolas, mais nous y avons pensé, l’adresse est sur la dernière photo, comme l’indique la légende 😉 Êtes-vous à Tokyo ?