Le 11 mars 2011, une énorme vague ravageait le Nord du Japon. La journaliste Tomoko Foujita avait couvert l’événement. Elle raconte pour le journal minimal son retour sur les lieux du drame.
Ishinomaki (nord du Japon) – mars 2016. C’est un petit autel bouddhiste sous un arbre décharné au milieu d’une immense zone désertique au bord de l’océan Pacifique. On y prie les morts du tsunami qui dévastait la côte nord-est du Japon il y a tout juste 5 ans, faisant près de 20 000 morts et disparus. En 2011, j’avais couvert le tsunami au nord de Sendai, non loin de l’épicentre du séisme qui avait déclenché la vague meurtrière. Elle avait ravagé des centaines de kilomètres de côtes et tout détruit sur son passage jusqu’à 10 kilomètres à l’intérieur des terres. À mon retour en France, j’avais gardé à l’esprit des images de chaos, des villes entières rasées ou sens dessus dessous, des habitants traumatisés au regard hagard mais dignes, des odeurs de mort et l’angoisse d’un pays entier alors que l’explosion des réacteurs de la centrale de Fukushima, à une centaine de kilomètres de Sendai, était en train de provoquer une catastrophe nucléaire majeure.
LE LOURD TRIBUT PAYÉ PAR LA VILLE D’ISHINOMAKI
Étant d’origine japonaise, cette tragédie a résonné au plus profond de mon être. J’ai mis cinq ans à revenir au Japon. C’est à Ishinomaki, ville côtière au nord-est de Sendai, que j’ai choisi de me rendre pour voir ce qu’il restait de la catastrophe et mesurer les progrès de la reconstruction. Peuplée de 160 000 habitants, Ishinomaki a payé un des plus lourds tributs en mars 2011 avec près de 3 600 morts et disparus. La vague avait atteint plus de 8 mètres de haut, 73 km² avaient été inondés et 100 000 bâtiments détruits ou endommagés.
En bord de mer, la zone la plus touchée est aujourd’hui devenue un immense chantier de construction. Au milieu, subsiste un cimetière où l’on peut voir de nombreuses tombes récentes, celles des victimes du tsunami notamment, ainsi qu’un tas de débris de maison (tatamis, aspirateur, four à micro-ondes), unique vestige parlant du tsunami.
La vague s’est arrêtée au pied d’une colline. En m’y promenant, ce 6 mars 2016, j’entends le son d’un concert de taikos (tambours japonais) près d’un temple. À quelques jours des commémorations, des habitants d’Ishinomaki semblent avoir besoin de se regrouper, même si certains préfèrent ne plus parler du 11 mars 2011.
« Ici, nous avons placé en retrait les photos de la catastrophe car il y a des gens qui ne les supportent pas. Nous préférons mettre en valeur la reconstruction », m’explique Richard Halberstadt, un Anglais travaillant dans un centre municipal d’information sur le tsunami et la réhabilitation de la ville. Vivant à Ishinomaki depuis vingt ans, il a été embauché par la mairie pour accueillir les étrangers venus voir les zones détruites par le tsunami. Car la catastrophe a donné lieu à un business touristique. Des visites en bus des zones dévastées sont organisées dans la région, exactement comme à Tchernobyl.
L’envers du décor, ce sont des dizaines de milliers de personnes toujours hébergées dans des maisons préfabriquées après avoir perdu leur maison. À Ishinomaki, les taux de dépression ou d’alcoolisme chez ces personnes sont importants. Une souffrance souvent silencieuse, d’autant qu’au Japon, le recours aux psychiatres est peu développé et l’usage incite à cacher ses émotions.
Un nouvel hôpital est en train d’être bâti. « La reconstruction d’Ishinomaki prendra encore plusieurs années », souligne Richard Halberstadt. Sur la zone dévastée, un parc du souvenir sera érigé non loin des habitations neuves. La côte a également vu fleurir des kilomètres de digues pour mieux prévenir les dégâts des prochains tsunamis. Le Japon se trouve au croisement de quatre plaques tectoniques et subit de fréquents séismes.
3 Responses
Merci pour un texte émouvant et plein de pudeur. Ce pélerinage dans la souffrance transforme la mort en survie, puis en vie, pas pour tout de suite, mais qui viendra, c’est certain! Les blessures se referment peu à peu, laissant le cœur défiguré à jamais par d’horribles cicatrices, mais pompant les énergies de la vie-même.
Cinq ans…
Comme c’est bien dit !
Bonjour,
Merci pour votre commentaire. Un des buts de ce retour au Japon était justement d’aller chercher la vie là où j’avais laissé la mort. Il est certain que les blessures sont encore fortes mais les racines de vie sont là également.