« Que diable es-tu allée faire à Istanbul ? »

Malgré les tensions, les attentats, la répression, mon envie de découvrir cette ville chargée d’histoire a été la plus forte.

Crédit photo : Isabelle Toquebeuf
Le Bosphore (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).

Quelle idée saugrenue, aux yeux de mes proches, que de vouloir aller passer des vacances à Istanbul. La Turquie est en guerre ouverte contre Daech, les attentats s’y multiplient….

Difficile d’éluder le contexte lorsque l’on arrive sur place : très vite, un jeune kurde m’explique que le régime actuel est à l’origine du coup d’État manqué de juillet 2016, pourtant officiellement imputé aux opposants gülenistes. « Erdogan utilise tous les moyens pour restreindre les libertés publiques et asseoir son pouvoir » : censure de la presse, emprisonnement de centaines de journalistes et blogueurs, limogeage d’une centaine de milliers de fonctionnaires, mise au pas de toute personne supposée hostile au régime ou suspectée de dissidence, tensions avec les Kurdes.

Malgré cela, j’ai commencé à arpenter la cité millénaire : Istanbul, Byzance, Constantinople, de lectures historiques en fictions hollywoodiennes les trois noms de la ville racontent une épopée orientale et charrient un imaginaire empreint de soleil.

DU BASILEUS AU SULTAN

Istanbul est le nom turc de Constantinople, celui que prend la ville en 1923 au moment où Mustapha Kémal Atatürk (« le père des Turcs ») proclame la république de Turquie. Avant cette date, on parlait de Byzance, et surtout de Constantinople qui fut le cœur de l’Empire byzantin puis ottoman.

Fondée en 330 par l’empereur romain Constantin, Constantinople est l’ancienne capitale de l’Empire romain d’Orient. Prolongement de la Rome latine en Asie mineure, Constantinople avait pour maitre un empereur, le basileus. La ville fut pendant des siècles le théâtre d’affrontements entre les chrétiens orthodoxes qui y étaient installés, les Croisés qui s’y aventurèrent pour tenter de s’en emparer ou de la défendre, et les nomades turcs venus des steppes d’Asie centrale, proches des Mongols. Convertis à l’islam, ils dominèrent dès le 10siècle une grande partie du Moyen-Orient. Et ce sont finalement ces derniers qui ont conquis la cité byzantine en 1453, galvanisés par les velléités d’expansion vers l’Ouest du sultan Mehmet II.

DÉCRÉPITUDE ET CONSÉCRATION

Les occidentaux appellent cet épisode « La chute de Constantinople ». En réalité la ville passe sous la coupe musulmane, ce qui marque à la fois la décrépitude de l’Empire byzantin et la consécration du sultanat ottoman comme grande puissance musulmane. La plupart des lieux saints chrétiens sont alors transformés en mosquées.

C’est le cas de la basilique Sainte-Sophie (Ayasofya en langue turque) sur laquelle plusieurs minarets sont érigés dans les années qui suivent la prise de Constantinople, puis sous Soliman le Magnifique au 16siècle.

Photo : Isabelle Toquebeuf
Construite sous l’empereur Justinien au 6e siècle, Sainte-Sophie est transformée en musée par le pouvoir kémaliste laïc en 1934 (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).
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L’intérieur de Sainte-Sophie allie les traces des religions chrétienne et musulmane. L’édifice est réputé pour ses coupoles byzantines et ses mosaïques à fond d’or (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).

D’autres monuments somptueux sont construits au cours de cette période. C’est le cas du palais de Topkapi (Topkapi Sarayi en turc) au 15e siècle. Résidence des sultans ottomans, il est transformé en musée en 1924 à l’époque d’Atatürk.

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Entrée du palais de Topkapi, la résidence officielle des sultans ottomans jusqu’au 19e siècle (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).

Un autre symbole d’Istanbul, la Mosquée bleue (Sultanahmet Camii en turc), située sur la place Sultanahmet, fait face à Sainte Sophie depuis quatre cents ans.

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Dotée de 6 minarets, la Mosquée Bleue allie les coupoles byzantines au style musulman traditionnel (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).

Vestiges des empires byzantin puis ottoman, beaucoup de ces édifices deviennent des musées dans les années 1920, au moment de la fondation de la république turque et de l’abolition du califat. Pourtant, Istanbul est loin d’être une ville musée réductible à son passé. C’est bien une histoire faite des tumultes de la modernité qui s’écrit aujourd’hui.

Il suffit de se rendre sur la place Taksim, symbole du mode de vie libéral et lieu de vie prisé de la jeunesse stambouliote (le dernier attentat a eu lieu dans une discothèque du quartier début janvier 2017) pour s’en rendre compte : hôtels et bars branchés s’y côtoient, touristes, expatriés et étudiants s’y mélangent. C’est des abords de cette place et de l’avenue Istiklal, les Champs-Élysées d’Istanbul, que sont parties en 2013 les révoltes contre la destruction du Parc Gezi.

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Le tramway permet de remonter l’avenue Istiklal jusqu’à la place Taksim (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).

Lorsque l’on arpente les ruelles de Beyoğlu et que l’on descend vers le Bosphore, on aperçoit la tour de Galata,

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Ancienne prison ou lieu d’observation, la tour de Galata domine la ville du haut de ses 67 mètres (crédit photo : Isabelle Toquebeuf).

En piquant tout droit, on tombe sur le quartier Karaköy, foisonnant d’une culture urbaine cosmopolite propre aux grandes capitales. On y trouve des artistes, des designers, des créateurs et autant de boutiques arty et branchées qui rappellent celles du quartier Jordan, à Amsterdam. Cette confusion des genres entre tradition et modernité est frappante, au moins autant que le contraste entre la techno turque qui passe à fond dans les boutiques de l’avenue Istiklal et les appels à la prière qui résonnent à heure fixe dans les hauts parleurs de la ville.

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Le quartier Karaköy abrite artistes et créateurs (crédit photo: Isabelle Toquebeuf).
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Le quartier Karaköy, vu du pont de Galata… Istanbul, la ville entre deux rives (crédit photo: Isabelle Toquebeuf).

Istanbul ne m’a pas semblé une ville blessée, mais plutôt tiraillée, prise entre deux eaux. Celle de la modernité, qu’appellent de leurs vœux la jeunesse et les intellectuels, et une autre, plus sombre, d’où émane le chant des sirènes traditionalistes. Les stambouliotes sont libres d’écrire leur histoire et si l’occasion se représente j’en serai le témoin : je reviendrai à Istanbul.

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À propos de l'auteur
Je préfère les petits gestes du quotidien aux lendemains qui chantent et je crois en un mode de production et de consommation respectueux de la planète et de nos amis les animaux.
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