Accueil des réfugiés : l’exemple de l’Argentine, véritable kaléidoscope culturel

La Journée mondiale des réfugiés a lieu le 20 juin. Ce jour-là, en Argentine, c’est aussi la Fête du drapeau. Une coïncidence ? Ce pays est l’un des plus accueillants pour les migrants.

En argentine, les réfugiés sont bien accueilis.
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Selon une récente étude de l’Ipsos, l’Argentine fait partie des trois pays au monde les plus accueillants pour les réfugiés. Un fait qui peut surprendre, vu la réputation de chauvinisme des Argentins sur le continent sud-américain. Cependant, leur fierté nationale n’a d’égale que la passion qu’ils portent aux nombreuses « communautés » venues enrichir le pays au fil des générations…

ÉVÉNEMENTS FOLKLORIQUES

À Rosario, troisième ville d’Argentine avec 1,2 million d’habitants, une grande Fête des communautés se tient chaque automne pendant une dizaine de jours au pied du totem national : le Monument au drapeau (qui commémore la création de la bannière argentine). Dix jours durant lesquels sont célébrés les diverses cultures du pays, à travers des plats typiques, musiques, danses, stands d’artisanats…

Rosario n’est pas la seule ville du pays à honorer les migrants. Certaines leur consacrent le nom d’une place, d’un parc, d’une rue. À Oberá (dans la province de Misiones), ou à Berisso (dans celle de Buenos Aires), il y a même une Fête de l’immigrant. Et comme à Rosario, ces événements folkloriques sont parmi les plus populaires. Elles révèlent l’histoire d’une nation bâtie de longue date sur les communautés venues s’y installer, et que l’on retrouve dans la célèbre formule « gouverner, c’est peupler » de Juan Bautista Alberdi, le père de la Constitution argentine de 1853.

CONQUÊTE DU DÉSERT

Au début du 19e siècle, les héros de l’Indépendance du pays s’étaient retrouvés à la tête d’un territoire immense habité par les peuples autochtones. Ils voyaient dans la construction de la République argentine une victoire de la « civilisation » européenne – dont ils étaient issus – sur les « sauvages ».

Cette vision suprémaciste du pays aura pour conséquence ce que l’Histoire a retenu comme la « conquête du désert ». Un récit national qui, en Argentine comme ailleurs, cache mal le génocide des peuples autochtones. Pendant que ces derniers disparaissaient, l’élite du pays encouragea l’immigration. Ainsi, de 1850 à 1930, la population argentine sera décuplée (elle passera de 1,1 à 11,8 millions d’habitants), alors que celle de ses voisins sera, au plus, multipliée par trois.

MELTING-POT

Entre 1860 et 1940, ce sont près de 3 millions d’Italiens qui immigreront en Argentine, 2 millions d’Espagnols et 240 000 Français, la troisième communauté en nombre sur cette période. Cette politique vaudra au pays le dicton américain : « Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens descendent des Incas et les Argentins descendent … du bateau. »

Mais les immigrés venaient aussi de Russie, de Pologne, d’Allemagne, d’Irlande, de « Turquie » (1). Jusqu’en 1991, les Italiens formaient encore la plus grande communauté, ils ont depuis été dépassés par celles des pays voisins : Paraguay, Bolivie, Chili et Pérou. Et, ces dernières années, ce sont les Haïtiens et Africains qui trouvent en l’Argentine leur Terre promise.

INFLUENCE ITALIENNE

Le plus souvent, ces communautés s’organisent sous forme associative et cherchent à promouvoir langues et traditions gastronomiques, artistiques, artisanales. Elles se rapprochent ainsi des « clubs » argentins qui proposent toutes sortes d’activités : café-restaurant, sports, cours de langue, de broderie… Ainsi, il n’est pas rare de voir dans les centres urbains argentins ici, un « club syrien », là, une « société libanaise » ou un « club israélien »…

Les Italiens ont particulièrement marqué l’Argentine de leur empreinte. Si les pizzas, pastas et gnocchi se dégustent aujourd’hui dans tous les pays du monde, en Argentine, l’importance de ces plats dépasse la dimension gastronomique. Ils se préparent à la maison, comme le faisaient les ancêtres venus d’Italie et se voient souvent réservés à un jour particulier : les pizzas maison du samedi soir entre amis ou en famille, les pâtes du dimanche ou les ñoquis de la fin du mois racontent ainsi des coutumes apportées par les premières générations de migrants.

En argentine, les gens font leur pizza le samedi soir
La pizza casera (ou pizza maison), l’un des classiques des samedis soirs argentins, entre amis ou en famille. Photo: Arnaud Brunetière.

Terre d’accueil, l’Argentine s’est parfois, transformée en terre d’émigration. De nombreux Argentins sont venus se réfugiés en Europe – notamment en France – lors des périodes de dictature ou lors des crises économiques. D’autres ont émigré momentanément : c’est par exemple le cas de la plupart des joueurs de football argentins, de Maradona à Messi, en passant par Batistuta ou Di Maria, mais aussi des professionnels du tango (danseurs, deejays et professeurs), dont les plus célèbres vivent, pour la plupart, en Europe, comme Carlitos Espinoza (Lyon), Augustina Piaggo (Moscou), Ezequiel El Tigre Sabella (Gênes). Et ces émigrants argentins ont apporté avec eux leurs coutumes sud-américaines, parmi lesquelles l’incontournable maté.

LE TANGO ET… TOULOUSE

Mais revenons en Argentine. Symbole culturel du pays, le tango est lui aussi un produit des migrations. Cette musique est née dans les quartiers populaires de Buenos Aires. Ceux où vivaient les étrangers. Majoritairement masculins. La légende dit d’ailleurs que le tango, à l’origine, se dansait entre hommes.

le tango, une musique de réfugiés au depart
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L’une des plus grandes figures de cette danse, le musicien Carlos Gardel (c’est le premier qui mettra des paroles au tango), serait né à… Toulouse. Il aurait immigré à Buenos Aires, en 1892, à l’âge de deux ans, avec sa mère. Et il grandira dans le quartier d’Almagro, réputé comme l’un des plus tangueros de la capitale…

Fière de ses communautés, l’Argentine entretient cependant une relation beaucoup plus complexe et ambiguë avec celles qui vivaient sur ce territoire avant l’arrivée des Espagnols. Il aura fallu attendre 2010 pour que le « Jour de la race », qui célébrait chaque 12 octobre l’arrivée de Christophe Colomb sur la terre américaine, soit transformé en un « Jour du respect de la diversité culturelle ».♦

(1) Jusqu’en 1920 (date de la distinction officielle, en Argentine, entre les différentes nationalités attachées à ces territoires), la Turquie, la Syrie, le Liban, la Palestine, le Yémen et l’Irak font partie de l’Empire Ottoman. Tous les immigrants venant de ces différentes régions voyagent donc avec un passeport turc. Cette particularité a mené à la généralisation du terme « turc » (« turco » en espagnol), pour désigner les personnes issues de ces régions et, par extension, les personnes d’origines arabes. Qualificatif qui continue d’être utilisé en ce sens générique de nos jours.

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À propos de l'auteur
Après plusieurs voyages en Amérique latine, je vis actuellement à Rosario, ville de naissance de « Che » Guevara, de Messi et… de ma copine argentine.
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