Nourrir la terre entre deux cultures, c’est ce que les paysans font depuis des millénaires. Mais ces pratiques sont aujourd’hui menacées par la méthanisation agricole.
utrefois, entre deux cultures pour nourrir les humains, on en intercalait une pour nourrir la Nature ! C’était l’interculture, une technique ancestrale qui a permis aux paysans, avec les fumiers et le recyclage de toutes les matières organiques, les rotations et les jachères, de protéger et de valoriser leurs terres. Mais voilà, aujourd’hui nos gouvernants veulent utiliser les plantes issues de ces cultures pour en faire du gaz ! Plus de 100 000 hectares sont déjà utilisés pour la méthanisation agricole en France, et le gouvernement pousse pour en cultiver des millions.
Au Moyen Âge, les agriculteurs avaient l’habitude de faire pousser des plantes succulentes pour la fertilité des sols. Ils les appelaient « engrais vert », « engrais végétaux » ou « couverts végétaux ». Voici la définition des engrais verts dans le Littré du 19e siècle : « Nom donné aux tiges, feuilles ou fanes des végétaux herbacés spécialement cultivés pour service de fumure, tels que lupin, colza, seigle, etc. ; on les enfouit dans la terre, ils y pourrissent et la fertilisent. » Ces végétaux destinés à engraisser le sol étaient soit enfouis directement dedans comme l’explique le dictionnaire, soit broutés par les animaux qui fertilisaient ensuite la terre avec leurs excréments avant qu’elle soit retournée.
VÉGÉTAUX EXPÉDIÉS PAR CAMION
Plus récemment, le terme « engrais verts » a été remplacé par « cultures intercalaires », « cultures dérobées » ou CIPAN (Cultures intermédiaires pièges à nitrates). Mais avec le développement de la méthanisation agricole, on les appelle dorénavant des CIVE (Cultures intermédiaires à vocation énergétique), des CIMS (Cultures intermédiaires multiservices) ou des CIMSE (Cultures intermédiaires multiservices environnementaux).
Des sigles qui fleurent bon l’innovation mais qui désignent exactement la même chose. Sauf que la destination de ces végétaux a été complètement déviée : au lieu de nourrir le sol en carbone, ils sont envoyés dans des méthaniseurs pour en faire du bio-gaz ou gaz vert. Et cette catastrophe écologique va poser un gros problème pour les générations futures, car cette prédation prive le sol du carbone indispensable à sa santé.
VISION MACHINALE DES SOLS
Les couverts végétaux, en nourrissant les communautés de bactéries, de vers de terre ou de champignons, n’ont que des avantages, car ils soutiennent la continuité de l’activité biologique des sols. On entend souvent parler de continuité écologique pour les cours d’eau, mais un sol nourricier est soumis aux mêmes contraintes pour rester durable et performant.
« Vendre sa paille, c’est vendre son fumier ; et qui vend son fumier, vide son grenier’, disait la sagesse paysanne. Mais pour le gazier et les disciples de l’agriculture de synthèse, le fumier est un déchet que la méthanisation peut « valoriser » ! Idem pour les intercultures qu’ils préfèrent valoriser financièrement en les détournant de leur fonction première. Une valorisation qui reste en outre à démontrer, puisque toute la production de biogaz est sous perfusion d’argent public. Bref, une vision machinale des sols qui tourne le dos aux écosystèmes et aux services écosystémiques offerts gratuitement par la Nature.
UNE PRATIQUE ANTIQUE
« La culture des engrais verts est peut-être aussi ancienne que l’agriculture », écrivait l’ingénieur agronome Joseph Pousset dans son pavé : Engrais verts et fertilité des sols (paru en 2011 aux Éditions France agricole). Tandis que dans son étude agronomique publiée en 1927 l’américain Pieters signalait que des documents chinois très anciens la mentionnaient déjà plus de mille ans avant Jésus-Christ. D’autres auteurs, dont J.S. Joffre (1955), ont noté que les anciens Grecs et Romains utilisaient aussi cette technique.
Ajoutons-y les Égyptiens, très préoccupés par le maintien de la fertilité. D’ailleurs, leurs agronomes avaient découvert l’extraordinaire capacité des vers de terre à déplacer de grandes quantités de sols et à jouer un rôle majeur dans la fertilité de ces derniers. Or les couverts végétaux, riches en carbone labile (assimilable), font justement partie du panel pour les nourrir. À ce sujet, j’aime à rappeler que la seule décision politique prise en faveur des vers de terre et de la fertilité des sols date d’il y a plus de deux mille ans et fut prise par Cléopâtre.