Si les femmes l’ouvraient davantage

« Nous ne nous tairons plus » : au-delà du buzz, la tribune de 17 anciennes ministres « contre le sexisme » signe peut-être l’avènement du féminisme en politique.

Image créée à partir de Wilson Joseph
Picto : « Business women » by Wilson Joseph from the Noun Project

« Les femmes doivent pouvoir travailler, sortir dans la rue, prendre les transports sans avoir à subir des remarques ou des gestes déplacés. Nous aurions tant aimé ne pas avoir à le répéter, nous aurions adoré ne jamais avoir eu à écrire cette tribune. » Ainsi s’achève l’appel lancé par 17 anciennes ministres issues des grands partis républicains et de diverses générations (Rama Yade, Yvette Roudy, Cécile Duflot, Fleur Pellerin, Chantal Jouanno, Valérie Pécresse…), publié quelques jours après les accusations de harcèlement sexuel portées contre Denis Baupin.

Capture d'écran
La tribune parue dans le Journal du Dimanche du 15 mai 2016 (Capture d’écran)

Le féminisme a longtemps été un combat social, voire privé, délaissé par le corps politique dans son ensemble, cantonné à un secrétariat d’État aux Droits des femmes ou à des « Journées de la femme », « Journées de lutte contre les violences faites aux femmes ».  Que des politiciennes en vue prennent collectivement « la plume pour dire que, cette fois, c’est trop, l’omerta et la loi du silence ne sont plus possibles », qu’elles dénoncent clairement l’oppression dont elles sont victimes en parlant clairement de « sexisme », marque un changement culturel profond. « Il faut éduquer la population, déconstruire les préjugés et les codes, expliquer sans cesse ce qu’est un harcèlement ou une agression sexuelle », écrivent-elles en se référant à une autre « tribune contre le sexisme » publiée un an plus tôt dans Libération par une quarantaine de femmes journalistes politiques réunies dans le collectif « Bas les pattes ! ».

DE BAS LES MASQUES À « BAS LES PATTES »

Cette prise de parole des femmes qui travaillent au cœur du pouvoir, si elle se généralise, et surtout, si elle est valorisée, précède peut-être l’éclatement d’une série de scandales. C’est en tout cas ce qui s’est passé pour la pédophilie, un sujet sous le boisseau jusqu’à ce que les témoignages d’enfants violés dans l’émission Bas les masques de Mireille Dumas en 1995 fassent sauter le tabou médiatique. Avant cela, les abus sexuels envers les enfants faisaient rarement la une des journaux.

Les critiques de ces deniers jours à l’encontre de Denis Baupin et de Donald Trump illustrent ce décalage culturel. Ces deux hommes de pouvoir sont mis en cause par des femmes dénonçant leur comportement inapproprié. Sans doute n’avaient-ils rien vu venir, trompés par le sentiment de légitimité que confère une position dominante. Sinon, comment expliquer que Denis Baupin ait posé avec du rouge à lèvres le 8 mars, photo qui a poussé ses victimes à s’exprimer ?

Et comment expliquer que Donald Trump ait multiplié les propos méprisants envers les femmes, allant jusqu’à promettre de punir celles qui avortent, alors même qu’il cherche à gagner leur vote ? Parce qu’il ne démord pas de sa conviction selon laquelle « les femmes, il faut les traiter comme de la merde ». Las, ce machisme revendiqué a incité des femmes qu’il a harcelées à tout raconter au New York Times, dans une enquête qui vient de paraitre.

Capture d'écran NYT
L’enquête du New York Times sur la manière dont Donald Trump se comporte avec les femmes en privé, parue le 14 mai 2016. À lire ici.

La baisse de la tolérance envers les propos et les gestes sexistes des hommes politiques est réelle mais cependant lente. Rappelons-nous la condescendance récente avec laquelle Myriam El Khomri fut traitée par ses pairs lorsqu’elle glissa dans sa douche au moment de défendre sa loi travail : « le léger malaise » de « cette jeune ministre ». « Est-elle vraiment taillée pour le job ? ». François Hollande avait même évoqué en riant un « accident domestique ».

Un jour, quand les femmes n’auront plus du tout peur de l’ouvrir, les proclamations misogynes dans l’espace public reculeront largement. Mais il y a encore du boulot. En politique, dans les milieux d’affaires, dans le cinéma (haut lieu de pouvoir) : lors de la cérémonie d’ouverture du festival de Cannes, la blague du comédien Laurent Lafitte faisant allusion au viol incestueux dont est accusé Woody Allen a provoqué un scandale international, tandis que sa boutade machiste « Cannes est une femme, et une femme, c’est comme une belle bagnole, alors quoi de plus normal que le réalisateur de Mad Max pour présider le jury ? » est passée totalement inaperçue.

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À propos de l'auteur
Journaliste, co-fondatrice du journal minimal, je suis spécialiste des questions de société.
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4 réponses

  1. « Dans toute peur il y a un désir, dans tout désir il y a une peur » ; le muscle puis la religion se sont chargés du reste.

  2. Quand on voit l’état du monde, des rapports sociaux et humains sous domination masculine : la cause des femmes c’est le combat contre la barbarie.

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