Marcher dans Paris à 0,3 km/h avec la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker

En réaction à la vitesse frénétique qui règne dans nos grandes métropoles, la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker organise des marches ultra lentes. Après Bruxelles, nous avons suivi celle de Paris.

Marche lente, slow walk, Anne Teresa de Keersmaeker
Marche lente, Paris, septembre 2018. Photo: Catherine Simonet.

Malgré la grisaille, les nuages puis les averses, des centaines de parisiens ont participé dimanche 23 septembre au slow walk (marche lente) organisée par Anne Teresa de Keersmaeker. Divers groupes, répartis en étoile dans la capitale, ont convergé au ralenti tout l’après-midi vers la place de la République, où la chorégraphe belge proposait pour finir un atelier de danse ouvert à tous. Le journal minimal y était.

En marchant à 0,3 km/h durant quatre heures, nous avons parcouru 1,2 km et marché vingt fois plus lentement que d’habitude. C’est assez déstabilisant. Au début, sur les pavés du canal Saint-Martin, on perd facilement l’équilibre tellement c’est lent. Les marcheurs sont silencieux, concentrés (vidéo ci-dessous).

Deux groupes avancent à la vitesse de tortues de part et d’autre du canal Saint-Martin (Paris 10e), ils se perdront de vue un peu plus loin pour se retrouver ensuite place de la République.

Les gens viennent puis repartent, des passants se greffent ; le nombre de personnes augmente peu à peu. Une jeune cycliste et son copain s’arrêtent pour nous regarder : « C’est trop cool ! » s’exclame-t-elle.

Lorsque nous quittons enfin le canal Saint-Martin et bifurquons rue du faubourg du Temple pour rejoindre la République, l’inquiétude me gagne : mais comment allons-nous traverser la rue ? Si nous marchons toujours à cette vitesse les automobilistes ne vont-ils pas nous insulter ou nous foncer dessus ? Heureusement, les danseurs qui encadrent la troupe nous font marcher plus vite jusqu’au trottoir d’en face, ils ont à cœur que nous arrivions entiers à destination.

Marche lente, slow walk, Anne Teresa de Keersmaeker
La slow walk passe devant un fast-food, Paris. Photo: Catherine Simonet.

Cette marche au ralenti s’inscrit dans la continuité du travail chorégraphique d’Anne Teresa de Keersmaeker avec sa compagnie Rosas et l’école internationale P.A.R.T.S : « Simplement marcher, ralentir le rythme, pour redécouvrir ses articulations, son pouls, son poids, et glisser dans un autre rapport à la durée et au déplacement. » À la fois artistique, spirituelle (inspirée de la marche méditative bouddhiste) et écologique, la slow walk est aussi une façon de faire ressortir, par contraste, la vitesse frénétique qui règne dans les grandes métropoles.

Vers 15 h 15 nous voilà presque arrivés mais nous ralentissons encore : nous devons en effet nous synchroniser pour que les cinq groupes arrivent en même temps place de la République. La météo ne nous aide pas : la pluie, jusqu’ici déjà bien présente, se déchaîne, ainsi que le vent, nous sommes tous trempés jusqu’aux os, parapluies ou pas.

Marche lente, slow walk, Anne Teresa de Keersmaeker
On voit la place de la République, mais il faudra encore du temps pour y arriver, Paris. Photo: Catherine Simonet.

Un homme en bras de chemise court vers nous, il a envie d’essayer, il marche avec nous cinq minutes, se fait saucer, sous l’œil amusé de ses copains abrités sur le trottoir d’en face. De nombreux passants, intrigués, nous interrogent.

Il ne nous reste plus que quelques mètres à avaler pour gagner la place mais la distance ne veut plus dire grand chose, la notion de « presque » s’étire indéfiniment. Il devient vraiment étrange d’être si proche maintenant de la statue de la République et de savoir qu’on y sera pourtant dans encore assez longtemps. Mais pas question d’avoir fait tout cela pour abandonner avant la fin ! Pas question non plus de rater l’atelier d’Anne Teresa de Keersmaeker qui doit clôturer l’événement.

Lorsque nous mettons le pied sur la place, nous sommes accueillis par la voix de la chorégraphe. Elle est là, équipée d’un micro serre-tête et très vite on la repère, elle est habillée en noir avec un petit foulard rouge vif. Elle nous rassemble peu à peu en cercle, de plus en plus près d’elle.

Marche lente, slow walk, Anne Teresa de Keersmaeker
La chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker (à droite sur la photo), place de la République, Paris. Photo: Catherine Simonet.

Elle nous fait progressivement investir tout l’espace en expérimentant toutes les façons de marcher : en avant, en arrière, de côté, sur la pointe des pieds, sur les talons, sur l’extérieur ou l’intérieur des pieds, les jambes très écartées ou très serrées, les genoux pliés, puis nous mélangeons tout cela. Elle ajoute les notions de vitesse, puis de direction : on se croise, on se regarde en souriant jusqu’aux oreilles, on se percute un peu parfois.

Après toutes ces expérimentations sur la marche, Anne Teresa de Keersmaeker nous invite à utiliser toutes ces nouvelles façons de marcher pour danser, sans oublier nos bras et ce que fait notre regard. Pour nous préparer à cela, elle donne l’exemple (vidéo ci-dessous).

Et puis c’est à nous, les enceintes balancent le premier morceau, Lose Yourself to dance des Daft Punk et c’est parti pour une boum géante, vingt minutes d’insouciance joyeuse – que j’aurais aimé vous montrer mais que je n’ai pas pu enregistrer, mon smartphone était plein !

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À propos de l'auteur
Pianiste et compositrice, directrice de la publication du journal.
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2 réponses

  1. En effet ce doit être déstabilisant, surtout dans Paris ! Mais très intéressant : expérimenter d’une nouvelle façon un mouvement quotidien. À élargir à d’autres gestes ?

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