Dans son essai Osons la nuit, le zoologiste Johan Eklöf décrit les bouleversements du cycle circadien causés par la pollution lumineuse. Et propose de ré-apprivoiser l’obscurité.
Le genre
Essai naturaliste.
Le pitch
De tout temps, semble-t-il, l’humain a eu peur du noir. Les grandes religions le rappellent. La lumière est synonyme de compréhension et les ténèbres d’ignorance. Pourtant, si nous pouvons être actifs le jour, c’est grâce à notre repos la nuit. Surtout, nous autres humains ne sommes qu’une minorité : la majorité des animaux sont en fait crépusculaires. En rognant depuis à peine deux siècles sur leur temps d’activité, à coup de pollution lumineuse, nous détruisons finalement l’ensemble de notre planète.
Johan Eklöf nous fait voyager autour de la Terre, à la rencontre des papillons, des cachalots, des chauves-souris, des platanes, et demande pour eux qu’on éteigne un peu plus les spots.
L’auteur
Johan Eklöf est un chercheur en zoologie à l’université de Stockholm. Passionné de chauves-souris, dont il étudie le mode de vie, il s’est rapidement intéressé au problème de la pollution lumineuse. Comme tous les noctambules, il est poète à ses heures.
Mon humble avis
Au croisement entre la vulgarisation scientifique, les pensées philosophiques, l’autobiographie et l’essai écologiste, l’ouvrage offre un tour du monde des organismes et des milieux – océans compris – que nous avons perturbés en leur ôtant la pénombre nocturne. Pour appréhender le bouleversement du ciel la nuit en à peine trois générations, Johan Eklöf retrace une histoire de sa famille. Il nous raconte que l’ampoule électrique est arrivée tard dans la vie de son grand-père. Il évoque également les découvertes de certains astronomes du passé ou celles de biologistes contemporains, inscrivant son expérience personnelle dans le cycle universel
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Le livre montre l’ampleur de la pollution lumineuse : aucune parcelle de notre planète n’est épargnée. Même quand la campagne est plongée dans le noir, le halo d’attraction lumineuse autour des villes la perturbe. Il en va de même jusque sous la mer, où les poissons et les coraux ne frayent plus, troublés par la luminosité trop importante et synonyme de danger.
Heureusement, comme le dit Johan Eklöf, « la pollution lumineuse est au fond le problème environnemental le plus simple à résoudre […] si nous éteignions la lumière superflue, les effets seraient immédiats et ne laisseraient aucun déchet ». Il est grand temps d’arrêter de croire que ce qui brille de mille feux est synonyme de richesse.
Une phrase du livre
« La lumière artificielle n’est pas seulement l’une des inventions les plus fantastiques de l’humanité, elle est une menace pour la vie elle-même puisqu’elle est capable de mettre hors jeu, en une seconde, des instincts vieux de deux cents millions d’années. »
Un extrait du livre
« En combinant les diodes modernes, il est aujourd’hui possible de diriger, de programmer, de combiner et de régler la lumière d’une manipère qui n’était pas envisageable avec l’ampoule électrique. Les LED (light-emitting diode) ou DEL (diodes électroluminescentes) en français, ont révolutionné le marché. Le prix par unité d’éclairage a beaucoup baissé, tout comme la consommation d’énergie par unité. L’ampoule LED a même fait du design lumineux et du light art des métiers attrayants. Une foule de formations sont proposées, et chaque cabinet d’architecture un tant soit peu important considère désormais l’éclairage comme une part importante de son intervention. Au début, il s’agissait surtout d’obtenir une lumière plus forte et plus intense. Comme souvent lorsqu’une nouvelle technique apparaît, on privilégie la quantité. Mais plus de lumière n’aide pas nécessairement à mieux voir. Les lampes puissantes le long des trottoirs créent un tunnel de lumière blanche au-delà duquel nous ne voyons rien. Nous ignorons s’il se cache quelqu’un d’inquiétant dans l’ombre de l’autre côté, nous ne voyons pas l’architecture de la ville, ni les passants qui flânent à la faveur du soir. L’aspect sécuritaire nous pousse à éclairer de plus en plus, mais trop d’éclairage nous aveugle et, de fait, augmente notre sentiment d’insécurité.
On sait que l’œil humain est fantastique, mais on a tendance à sous-estimer son potentiel sous un éclairage faible, et à surestimer l’importance d’un éclairage fort. Imaginez une route, la nuit, où des bandes réfléchissantes à même le sol sont vos seuls guides dans l’obscurité. Les phares de la voiture éclairent brillamment les virages et les sinuosités de la route. Survient un village. Les réverbères prennent le relais et éclairent la route d’en haut. En roulant dessous, vous avez l’impression d’être sous la lumière stroboscopique d’une boîte de nuit. Les yeux perdent leur vision nocturne et, à la sortie du village, l’obscurité vous paraît soudain plus compacte. Vous retenez votre souffle, vous attendez. L’effet des lampes s’estompe, et vous pouvez de nouveau voir la route très loin, uniquement soulignée par les traits blancs réfléchissants. L’expression less is more, inventée par l’architecte Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969), faisait référence aux formes pures en architecture, mais elle peut aussi s’appliquer à l’éclairage. Une lumière bien dosée aide l’œil à faire le point dans le crépuscule. »
Johan Eklöf, Osons la nuit – Manifeste contre la pollution lumineuse, Tana Éditions, 2022, 272 pages.