Covid-19 : en Russie tout va bien (mais quand même de moins en moins)

La pandémie contrarie l’agenda politique de Vladimir Poutine. Le déni règne en Russie et les théories complotistes fusent, comme au temps du Sida. Analyse.

Poupées russes avec des masques contre le Covid-19.
Illustration: Pixabay.

Hormis pour sa capitale, la Russie n’a pris aucune mesure de confinement. Officiellement, la propagation du coronavirus est contenue et dans leur grande majorité, les habitants vaquent à leurs occupations. Mais le vernis du déni est en train de se fissurer.

Dans son adresse à la nation la semaine dernière, Vladimir Poutine a admis, du bout des lèvres, qu’il valait mieux « rester chez soi », sans pour autant ordonner le confinement du plus grand pays du monde (25 fois la surface de la France). À la place, il a annoncé que la semaine du 28 mars au 5 avril serait chômée (mais payée) pour tous les salariés travaillant dans des secteurs non essentiels. Et depuis hier, les autorités ont décidé la fermeture des frontières, ainsi que le confinement de Moscou (12,6 millions d’habitants) selon les mêmes modalités qu’en France.

AUGMENTATION DES « PNEUMONIES »

Cet emballement de mesures ces derniers jours contraste avec le discours officiel tenu jusque-là par Vladimir Poutine. Mi mars, en marge de la visite d’un hôpital, le président russe, martial et définitif, déclarait que la situation épidémiologique du pays était « sous contrôle ». Pourtant, dès le mois de janvier, les statistiques officielles de ce pays (qui partage 4 250 kilomètres de frontière avec le Chine), avaient enregistré une augmentation de 37 % des cas de « pneumonies ». Bref, circulez, y a rien à voir !

Enfin si, il y « à voir » : le spectacle très médiatisé, il y a quelques jours, de la Fédération russe envoyant matériel et médecins à la pauvre Italie qui, elle, n’a pas su endiguer la pandémie. Ou encore l’annonce dimanche dernier, par l’Agence biomédicale russe, de la mise au point d’un traitement capable de lutter contre ce nouveau coronavirus. Le pouvoir russe excelle dans l’art de se faire bien voir aux yeux des étrangers tout en cachant sous le tapis ce qui pourrait nuire à son image.

INCIDENTS DIPLOMATIQUES

Comment alors expliquer le brusque changement de ton du discours présidentiel ? Même « officielles », les statistiques russes ne peuvent plus dissimuler l’explosion du nombre de cas de personnes infectées. Elles étaient plus de 1 200 au 29 mars, pour 4 décès. Le nombre de cas a été multiplié par 2,5 en à peine cinq jours. Les médecins commencent à ruer dans les brancards et les comptes Facebook des malades hospitalisés racontent l’incurie des soins : des médecins désemparés, des malades du coronavirus dans les mêmes salles que ceux qui n’ont pas encore été testés, un manque d’informations… Et des patients angoissés qui s’évadent des hôpitaux.

Bien que cette pandémie contrarie l’agenda politique du président russe (il a dû, contraint et forcé, reporter sine die le referendum sur la réforme constitutionnelle lui permettant de rester en poste jusqu’à 2036), le pouvoir ne peut plus regarder ailleurs. Il ne peut plus non plus incriminer l’étranger comme il l’a fait jusque-là. En effet, les diplomates européens et américains se sont récemment inquiétés de la campagne de désinformation menée par la Russie.

TABOU

Sur les réseaux sociaux, de faux comptes diffusent des informations complotistes : le coronavirus serait une arme biologique d’origine américaine ou britannique, l’épidémie aurait été apportée en Lituanie par un soldat américain, l’industrie pharmaceutique exagère la crise pour augmenter les ventes de médicaments, l’Italie pour avoir des subventions européennes, etc. Bref, le SARS-Cov-2 est une arme venue de l’étranger pour déstabiliser la Russie.

Cette rhétorique n’est pas sans rappeler celle qui a entouré l’épidémie de Sida en Russie. Le premier cas officiel de VIH remonte à 1986. Un militaire l’aurait contracté en Afrique et l’aurait ensuite transmis par voie sexuelle à une quinzaine d’hommes, en Russie. Pendant des décennies il s’est agi de ça : une maladie de marginaux (gays, usagers de drogues, prostitués), importée d’ailleurs. Un tabou. Fortes de ce discours, les autorités ont largement minimisé l’ampleur de l’épidémie qui a explosé dans les années 1990. Et se sont bien gardées de mettre en place des campagnes de prévention et des parcours de soin adaptés. Certes, cette politique s’est infléchie depuis quatre ou cinq ans, face à l’évidence : en 2016 le nombre de personnes infectées par le VIH a dépassé le million. Et (ô surprise !) elles ne sont pas toutes des homosexuels drogués.

AUCUN TRAITEMENT

Après des années de déni, de bâtons dans les roues des associations, de manque d’anti rétroviraux et d’informations lacunaires diffusées auprès de la population, 1,4 million de Russes vivent aujourd’hui avec le VIH, soit 1 % de la population. La moitié d’entre eux ne reçoit aucun traitement antirétroviral. En 2019, 37 000 personnes sont mortes du Sida, soit 100 chaque jour.

Est bien devin celui qui prétend connaître l’impact de l’épidémie actuelle de coronavirus en Russie (ou ailleurs dans le monde). Mais une chose est sûre : si le discours présidentiel a changé de ton en aussi peu de temps, c’est que le pouvoir est bien conscient qu’il ne peut continuer plus longtemps à jouer au village Potemkine*.

* L’expression « village Potemkine » désigne un trompe-l’œil à des fins de propagande. Selon une légende historique, de luxueuses façades en carton-pâte auraient été érigées, à la demande du ministre russe Grigori Potemkine, afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée en 1787. Source: Wikipédia.

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À propos de l'auteur
Journaliste, je m’intéresse aux histoires d’humains qui essaient de faire les choses autrement.
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6 réponses

  1. Nous sommes aujourd’hui le 31 mars – 15ème jour du confinement général en France. Comment l’auteure de cet article peut-elle écrire : « Même « officielles », les statistiques russes ne peuvent plus dissimuler l’explosion du nombre de cas de personnes infectées. Elles étaient plus de 1 200 au 29 mars, pour 4 décès. Le nombre de cas a été multiplié par 2,5 en à peine cinq jours. » !? Un décompte des infections avec 3 jours d’avance !? Si la date du 29 mars est une erreur de l’auteure, dommage que la coquille ait été publiée telle car cette erreur de chiffre flagrante saute aux yeux du lecteur attentif. Quelles sont les sources des chiffres donnés puisqu’il est écrit ailleurs qu’ils sont truqués? Je trouve un peu facile et injuste d’accuser un gouvernement étranger d’incurie alors que notre président, quelques jours avant de décréter le confinement à durée indéterminée, clamait qu’on ne renoncerait pas à nos terrasses de café, etc ? Enfin, je ne vois pas le rapport entre le minimalisme, la décroissance, l’écologie sociale, a priori sujets de ce journal en ligne et la critique politique et sanitaire du gouvernement russe. C’est ma question et mon opinions que je partage avec l’auteure et les lecteurs…

    1. Bonjour,
      Pour répondre au commentaire d’Emmanuelle : il s’agit effectivement d’une progression entre le 24 et le 29 mars. Selon le dernier bilan officiel (en date du 31 mars), la Russie compte 2 237 cas de coronavirus et 17 morts.
      Bonne journée à vous !

    2. Bonjour Laurence, merci pour votre commentaire. Pour vous répondre sur la ligne éditoriale du journal minimal, nous sommes un journal d’Information politique et générale et à ce titre nous sommes susceptibles de faire paraitre des articles dans tous les domaines (politique, international, économie, culture, agriculture, technologies, vie quotidienne…) à partir du moment où nous pensons apporter de l’information utile. Le journal minimal est, vous avez raison, un média engagé : écologiste, féministe, internationaliste, post capitaliste, anti-matérialiste, pro animaux, etc. Pour vous faire une idée plus précise de la ligne, voici un article qui peut vous intéresser : https://lejournalminimal.fr/pour-une-france-plus-legere/ Bien à vous.

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