Les débuts chahutés des nouveaux profs formés en distanciel

Comment s’est passée la rentrée des nouveaux enseignants ? Privés de stage et formés à distance en raison du covid, de jeunes profs du Val-d’Oise racontent au journal minimal leur plongée dans le grand bain.

La baptêlme du feu pour les enseignants formés à distance
Les nouveaux profs, formés à distance à cause du covid, arrivent en classe.

lettrine guillemetsJe me sens un peu abandonnée, explique Camille, professeur des écoles dans une classe de grande section de maternelle. Son stage de terrain a été annulé à cause de la pandémie, et les deux stages d’observation de quatre jours dont elle a bénéficié ne permettaient pas de se familiariser suffisamment à sa future profession (1).

Ce constat d’une préparation insuffisante est partagé par Mäelle (2), professeur de lettres modernes dans un collège, dont le premier stage a aussi été annulé pour des raisons sanitaires. « C’était une année difficile psychologiquement parlant, confie-t-elle. Heureusement, je m’étais fait quelques amies à la fac avant le premier confinement. »

CONCOURS BOULEVERSÉ

Ces étudiantes ont connu toutes les difficultés révélées par le journal minimal l’an dernier (cf. mon article sur Le cafard des étudiants privés d’amphis et de sorties : « Les cours en pdf et les apérozoom, ça va cinq minutes ! », paru en novembre 2020) : cours en visioconférence, problèmes de connexion, absence de réponses des professeurs… À ces épreuves s’est ajoutée la nécessité de préparer le concours d’enseignant, dont les conditions ont été modifiées par la pandémie : « Pour les oraux, nous n’avions pas de vraies salles mais uniquement des cloisons sans portes, il y avait un brouhaha permanent. C’était plus dur de se concentrer », raconte Camille.

Lilian, quant à lui, a passé le CAPES pour devenir professeur d’EPS, mais la suppression de l’examen pratique l’a pénalisé car sa spécialité, le tennis, n’était pas au programme des oraux contrairement au badminton.

CONSIGNES IRRÉALISTES

Une fois le concours passé, les jeunes profs ont été directement confrontés aux problèmes organisationnels de l’Éducation nationale. « Je n’ai appris mon affectation qu’à la mi-août ! » s’indigne Maëlle. « Je voulais préparer mes cours mais je n’avais pas accès aux manuels car les documentalistes n’étaient pas là. » L’affectation tardive complique la préparation des cours et peut parfois entraîner d’autres difficultés : « Une de mes amies a été affectée à plus d’une heure et demie de chez elle, et c’est son père qui doit l’emmener en voiture. »

Lors de la rentrée, ces nouveaux profs ont découvert le décalage entre les consignes données par l’Éducation nationale et ce qu’il est possible de faire. Lina, désormais professeur d’anglais dans un collège, en donne une illustration : « On me demande de donner tout mon cours en anglais, et d’essayer de faire deviner aux élèves les mots qu’ils ne comprennent pas. Mais c’est totalement impossible : si on fait cela on n’avance pas. » Un décalage amplifié par la pandémie : « Avec les confinements, les élèves ont beaucoup perdu, je me retrouve avec des adolescents qui n’ont presque pas eu de 6e et qui font encore très enfants. »

SOLIDARITÉ PROFESSIONNELLE

Heureusement, ces nouveaux profs peuvent compter sur la solidarité de leurs collègues : « Ma tutrice a conscience de la difficulté et m’a dit que c’était normal que je ne fasse pas tout en anglais”, poursuit Lina. « Les autres profs sont très gentils, ils me demandent tout le temps comment se passent mes cours », raconte de son côté Maëlle.

Les collègues plus âgés sont un véritable soutien pour ces nouveaux profs encore étudiants. « Maëlle il faut que tu sois une lionne », lui a-t-on conseillé par exemple avant la redoutable réunion parents-profs. Les jeunes profs craignent que leur âge inquiète les parents : « J’ai cru que j’allais m’évanouir » souffle Camille au sujet de cette fameuse réunion. Deeya, professeur d’anglais dans un collège-lycée, a elle aussi trouvé sa technique pour passer cette épreuve : « Je me suis dit : ‘Demande-toi ce qui aurait rassuré tes parents, et dis leur’. » Au lendemain de la réunion, elle a demandé à ses élèves ce que leurs parents en avaient pensé. Ils l’avaient trouvé « très claire ».

UNE QUESTION DE CRÉDIBILITÉ

C’est la prise en main de la classe qui finalement a été la moins complexe pour ces jeunes profs. Peut-être parce qu’après le covid, tout le monde était content de retrouver le cadre scolaire ? Les élèves ne semblent pas trop faire la différence avec des enseignants plus âgés, raconte Deeya : « Je leur ai fait une séquence sur le 11 Septembre et l’un d’eux m’a demandé comment l’événement avait été perçu à mon époque, comment je l’avais vécu… J’avais 2 ans ! » Ce constat est partagé par Lina : « On a fait un jeu en anglais. Je disais deux vérités et un mensonge, et ils devaient deviner ce qui était faux. Lorsque j’ai dit que j’avais 45 ans, mes 4e ont eu du mal à trancher : S’agissait-il d’un mensonge ? J’étais un peu vexée. »

De manière générale, l’âge semble moins important que la façon de se positionner par rapport aux élèves. Le nécessaire rapport d’autorité est justement l’une des raisons pour lesquelles Lilian a décidé de se réorienter quelques semaines après la rentrée : « Je me suis rendu compte que ça ne me plaisait pas. Le fait de devoir faire la police, d’être avec des élèves qui s’ennuient, vraiment, ce n’était pas pour moi. » Il a décidé de suivre une formation pour devenir prof de tennis en club : « Là au moins, les enfants sont motivés et il n’y a pas ce rapport avec les notes. On te tutoie. En tant que professeur d’EPS, je ne me sentais pas du tout à ma place. Je commençais à prononcer des phrases comme : ‘La sonnerie c’est moi’. J’ai seulement 21 ans et je me voyais déjà mourir à petit feu. »

Pourtant, c’est cette transformation en professeur que la plupart des nouveaux enseignants apprécient : « J’avais fait une faute au tableau et un élève me l’a fait remarquer, raconte Maëlle. Je me suis retournée et lui ai répondu : ‘C’était pour voir si vous suiviez.’ Et là je me suis dit, ça y est, punaise, je suis prof ! »

(1) Jusqu’à cette année, après l’obtention de leur master 1 (bac + 4), les étudiants souhaitant devenir professeurs pouvaient passer des concours (CRPE pour enseigner en primaire et en maternelle, CAPES pour le collège et le lycée). Ils étaient ensuite fonctionnaires stagiaires durant leur master 2 (bac + 5). Ils prenaient en charge leurs propres classes. Désormais le concours ne se passe plus qu’à bac + 5.
(2) Le prénom a été modifié.

Pour suivre les publications de mon journal préféré, je reçois la lettre minimale, chaque 1er jeudi du mois. Bonne nouvelle, c’est gratuit et sans engagement !

Partager cet article

À propos de l'auteur
Étudiante passionnée d’histoire et de philosophie, j’écris aussi des articles.
Articles similaires
Du même auteur
Écrire un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Rechercher