Notre planète a pris diverses colorations depuis sa formation. C’est ce que raconte le paléoclimatologue Gilles Ramstein dans le premier volet du grand entretien qu’il a accordé au journal minimal.
Le climatologue Gilles Ramstein est directeur de recherches au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Spécialiste de la modélisation du climat au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (attaché au CEA, au CNRS et à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), il est l’auteur de Voyage à travers les climats de la Terre, paru en 2015 aux éditions Odile Jacob. Nous publions en plusieurs parties l’entretien qu’il nous a accordé. Dans ce 1er volet, il nous raconte les impressionnantes variations de couleurs entraînées par certains épisodes climatiques critiques.
Indépendamment des saisons, on constate aujourd’hui un changement climatique global tellement fulgurant qu’il est observable à l’échelle d’une simple vie humaine. Mais si on prend du recul, quelle est l’histoire du climat de notre planète ?
La Terre s’est formée il y a 4,6 milliards d’années, puis très rapidement le bombardement primitif l’a couverte d’océans. À cette période, que l’on appelle l’Hadéen, la Terre est une aqua-planète, toute bleue. Difficile d’en dire plus car un bombardement tardif est venu tout brouiller et créer une sorte de rideau, derrière lequel il est difficile d’avoir davantage d’informations.
À partir de quand avez-vous pu étudier l’histoire climatique ?
De manière très indirecte, les scientifiques ont pu remonter jusqu’à il y a 3,8 milliards d’années : à ce moment-là le bombardement tardif est passé, les choses sont apaisées, on commence à avoir davantage de données et à pouvoir plus confortablement parler de climat.
À quoi ressemble la Terre à cette époque ?
Elle est encore bleue, mais avec peut-être quelques petits archipels balkaniques. Elle est restée toute bleue jusqu’à il y a à peu près 3 milliards d’années. Cette Terre jeune, primitive, est plutôt chaude, la température des océans pouvait atteindre 50 degrés.
Dans votre livre, Voyage à travers les climats de la Terre, vous parlez à ce sujet du « paradoxe du soleil jeune », de quoi s’agit-il ?
Normalement nous n’aurions pas dû avoir une Terre chaude, elle aurait dû n’être qu’une boule de glace, car contrairement à ce que l’on imagine, un soleil jeune est un soleil blême, pas très fringant. Or 99,9 % de l’énergie de notre planète vient du Soleil, donc toute chose égale par ailleurs, avec un Soleil jeune, la Terre aurait dû être une boule de glace. En réalité, la Terre jeune était chaude parce que dans son atmosphère il y avait beaucoup de gaz à effet de serre, en raison d’un puissant volcanisme. Mais comme il n’y avait pas de continents, le gaz carbonique (CO2) n’était pas capturé, il pouvait s’accumuler tranquillement dans l’atmosphère. Le taux de CO2 était beaucoup plus important qu’aujourd’hui, et c’est grâce à lui et au méthane que la Terre a été protégée, en fait, d’un englacement total qui aurait été mortifère. Car si la Terre s’était englacée à ce moment-là il aurait fallu attendre des milliards d’années pour que le soleil soit suffisamment fort pour la déglacer.
Que s’est-il passé ensuite ?
Lorsque les continents sont apparus, il y a 3 milliards d’années, ils étaient de couleur ocre et gris. Il n’y avait pas de vert comme on le voit aujourd’hui sur les images satellites : les continents étaient désertiques, la vie restait cantonnée dans les océans. Ensuite, la Terre a pu prendre éventuellement une couleur orangée lors d’un très bref épisode…
La terre est bleue comme une orange, le poème de Paul Éluard était vrai ?
Ce n’est pas certain mais c’est bien possible. Lorsque les continents sont apparus la biochimie du cycle du carbone a été modifiée : le CO2 présent dans l’atmosphère a baissé, capturé par les continents et les pluies. Et dans ce contexte il s’est produit quelque chose de très rare et de sans doute relativement éphémère: le rapport entre le méthane produit par les bactéries et le CO2 a augmenté dans l’atmosphère, or, à haute altitude le méthane se photolyse en petits aérosols qui renvoient la lumière du soleil. C’est dans un tout autre contexte ce qu’il se passe aujourd’hui sur Titan : ce satellite de Saturne a du méthane dans son atmosphère, qui lui donne une couleur orangée. Eh bien, la Terre a pu prendre une teinte orangée, mais seulement pendant très peu de temps, parce qu’ensuite le cycle s’est remis en place et le CO2 est remonté.
À la fin de toute cette phase globalement chaude, il va alors se produire une révolution biologique de la Terre : le grand événement d’oxydation, qui va marquer la fin de l’Archéen et le début du Protérozoïque.
Qu’est-ce que c’est que ce grand événement d’oxydation ?
C’est l’arrivée de l’oxygène sur Terre : elle se produit entre 2,4 et 2,2 milliards d’années. Avant cela, il y avait certainement quelques petites poches oxygénées puisqu’il y avait des cyanobactéries qui ont besoin d’oxygène, mais les bactéries qui avaient pignon sur rue étaient sans doute plutôt les archées-méthanogènes, qui produisaient du méthane. L’arrivée de l’oxygène a bouleversé la vie mais elle a aussi bouleversé le climat.
De quelle manière ?
Lorsque l’oxygène est apparu, il a oxydé le méthane, le méthane s’est transformé en CO2, or le méthane est un gaz à effet de serre bien plus puissant que le CO2. La disparition du méthane a entraîné une baisse de température et la première glaciation importante sur Terre, qu’on appelle la glaciation huronienne. À ce moment-là, la Terre devient blanche. Puis après il s’est remis à faire chaud, puis froid… jusqu’à la deuxième révolution biologique : une explosion de vie il y a 540 millions d’années, que l’on appelle « l’explosion cambrienne ». Elle marque la fin du Protérozoïque et le début du Phanérozoïque.
Que se passe-t-il à ce moment-là ?
Dans les océans, des formes de vie commencent à être capables de faire des coquilles, des squelettes, du carbonate. On entre dans un monde où l’on a une connaissance bien plus grande des espèces et des variations climatiques, grâce notamment aux fossiles.
La terre a-t-elle alors la couleur qu’on lui connait aujourd’hui ?
Non, il manque encore le vert sur les continents
Quand verdit-elle ?
Il y a environ 375 millions d’années, de toutes petites plantes sans racines commencent à pousser le long des fleuves, il y a très peu de choses, puis au bout de quelques millions d’années ces petites plantes finissent par donner des fougères géantes. Et au bout de quelques millions d’années encore, ces fougères donnent des Archaeopteris, les tout premiers arbres. La Terre prend alors les couleurs qu’on lui connait.
• Merci à Catherine Veil pour la retranscription de l’interview.
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