Reportage à l’université de Jussieu, où 300 étudiants se sont réunis afin de préparer des grèves pour le climat chaque vendredi à partir du 15 février 2019. A l’instar des étudiants australiens, belges, allemands…
« D’habitude en France, on ne se gène pas trop pour se bouger, alors qu’est-ce qu’on attend les gars ? » La première assemblée générale inter-facs pour le climat vient de commencer à Jussieu (Université Paris 7), ce vendredi 8 février 2019 au soir. L’amphi est plein, des étudiants cherchent les rares places disponibles sur les bancs en bois.
À l’ordre du jour de l’AG : le retard des jeunes français par rapport aux étudiants australiens, belges, allemands, qui ont répondu depuis plusieurs semaines à l’appel lancé par la jeune suédoise Greta Thunberg (vidéo ci-dessous) lors de la Cop24 à Katowice (Pologne). « Nous, on est toujours là à aller en cours » constate à la tribune une des organisatrices de la réunion.
Au menu des discussions : le texte d’un « ultimatum » à adresser au gouvernement et l’organisation d’une grève hebdomadaire à partir du vendredi 15 février 2019. Lycées, collégiens, étudiants, enseignants, tout le monde est invité à se joindre au mouvement. « On espère réunir chaque vendredi de plus en plus de monde et que le 15 mars, pour la grève mondiale du climat, ce soit l’apothéose » annonce Lena De Vanssay, militante au sein du collectif inter-facs Désobéissance Écolo Paris. En Belgique, les manifestations du vendredi ont en effet commencé avec 3 000 étudiants le 10 janvier dernier, jusqu’à atteindre les 35 000 participants.
Lena et les autres militants de Désobéissance Écolo ont observé avec admiration l’émergence de ces mouvements. « En réunion de collectif, on s’est dit qu’il fallait qu’on prenne en charge les manifestations à Paris » explique-t-elle. Ils ont alors contacté d’autres associations pour préparer l’AG de Jussieu. « Grâce au réseau de Romaric [Romaric Thurel, N.D.R.], qui a créé Youth for climate France, la mobilisation s’est étendue à tout le pays ». Une vingtaine de villes françaises ont effet rejoint la mobilisation mondiale du 15 mars prochain (voir ci-dessous la carte des villes participantes).
La carte des mobilisations Youth for climate (YFC) France.
Dans l’assemblée, cependant, certains pointent des risques de fracture : « Tout le monde ne va pas vouloir se mobiliser de la même façon », « les lycéens et collégiens ne vont pas aller aussi vite que vous ». Autre risque : la concentration du mouvement entre les mains des parisiens. Une jeune fille prend la parole : « Vous dites que ce l’ultimatum au gouvernement est pour Paris, pour l’Île-de-France, mais pour le reste de la France aussi ? Moi je viens de Toulouse et j’en ai marre qu’on ne parle que de Paris ». Les organisateurs lui répondent qu’ils n’ont « pas de légitimité » pour parler du reste de la France, « il faut aussi que cela se construise localement ».
Mais en dehors des universités parisiennes traditionnellement engagées, le mouvement n’est pas encore parvenu aux oreilles des autres étudiants. Adrien, en master ergonomie à Metz, m’indique qu’il n’en a pas entendu parler. Délia, en master neuropsychologie à Bordeaux, ne sait pas quoi en penser : « Je n’irais pas de moi-même manifester après avoir vu un événement sur Facebook », m’explique-t-elle, « il faudrait plutôt que quelqu’un vienne directement me faire part de ses idées ».
La première version du texte de l’ultimatum des jeunes aux gouvernement est projetée sur un grand écran. Un passage au ton assez mordant, celui qui évoque des sanctions, fait débat : « Chaque semaine, vous décideurs, aurez des devoirs à faire, nécessaires pour arrêter le désastre écologique. Si ces devoirs ne sont pas rendus avant le vendredi suivant, vous serez sévèrement sanctionnés. Soyez prêts pour l’examen du 15 mars ». Une discussion sur la violence ou non-violence s’engage, mais sans aboutir à un consensus.
FAUT-IL SUPPRIMER LES AÉROPORTS ?
Tout le monde n’est pas d’accord non plus sur la liste de revendications. L’une des propositions suscite la controverse : la suppression totale des aéroports sur le territoire français. Un jeune homme aux lunettes à la mode se lève pour réclamer de ne « pas taper sur les gens », mais de se concentrer plutôt sur les grosses entreprises et évadés fiscaux. « Qui n’a jamais pris l’avion franchement ? » ajoute un autre en sweat-shirt violet.
Finalement, un étudiant propose de ne pas « chercher le consensus absolument » mais d’éviter ce qui peut donner lieu à une « opposition radicale ». Sa suggestion recueille les applaudissements de l’amphi, car la volonté des étudiants, désormais, est de se réunir pour être enfin pris au sérieux.
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