Au Japon, le rougissement automnal des feuilles (kōyō) est l’objet d’une véritable célébration nationale. Ce spectacle de fin d’année attire toujours plus de visiteurs.
Comme chaque automne à Kyoto, les abords des temples, parcs et flancs de montagnes se réveillent sous les pas des visiteurs venus écumer les sentiers pour s’adonner à une quête, ou plutôt à une chasse ancestrale : le momijigari, littéralement « la chasse aux feuilles d’érable ».
Ce festival naturel a pour attraction principale les feuilles d’érable du Japon, les momiji, qui portent à l’extase lorsqu’elles se parent de leur vernis rouge vif.
La coutume consiste alors à admirer ces feuilles, soit kari, « chasser » dans le vocable japonais. Une chasse des plus respectueuses puisqu’elle consiste simplement à attraper avec les yeux les couleurs changeantes.
Kyoto, riche d’un millier de temples bouddhiques et de sanctuaires shintoïstes agrémentés de jardins, offre une scène des plus attrayantes pour ce spectacle à ciel ouvert.
Dès l’aube, la foule s’amasse aux portes des lieux de culte de Kyoto, prête à exécuter le rituel saisonnier du kōyō ; une longue flânerie pour dénicher et admirer la palette de coloration des feuilles.
Une fois à l’intérieur des lieux de culte, les visiteurs se dispersent et déambulent dans les allées parfumées par un mélange de terre et d’humus. L’air est humide, marqué par les pluies intempestives.
Toute la journée, les visiteurs sillonnent les chemins en une sorte de procession silencieuse, uniquement troublée par les cliquetis des appareils photos et les « Hai, tchi-zu ! » qui précèdent chaque cliché (équivalent du « Un, deux, trois ! » français).
Le désir d’immortaliser cette beauté éphémère prend aujourd’hui le pas sur la dimension méditative du kōyō, en lien avec les croyances shintoïstes qui invitent l’homme à faire corps avec les éléments naturels, considérés comme sacrés.
Si la spiritualité n’est pas flagrante, la défense de la tradition japonaise ancestrale, elle, est bien présente. Les jardins se transforment d’ailleurs en un véritable défilé où amis et couples chassent les couleurs automnales rutilantes, vêtus de kimonos.
Akihiro, 62 ans, a fait le déplacement en famille depuis la périphérie de Tokyo. Dans sa jeunesse, il se hissait sur les montagnes pour admirer les paysages d’automne. Depuis, il tient à perpétuer « cette tradition devenue coutume familiale » avec les siens. Son fils Akio, 26 ans, abonde en ce sens : « Nous sommes ici pour admirer la beauté de la culture traditionnelle japonaise ».
Considérée comme l’une des traditions les plus anciennes toujours en vigueur, cette pratique est apparue à la période Heian (794-1185), dont la capitale, Heian-Kyō, n’était autre que l’actuel Kyoto. Les nobles avaient alors le privilège de vagabonder dans les jardins pour le seul plaisir d’admirer les momiji flamboyants.
On trouve trace de cette chasse aux feuilles rouges dans Le Dit du Genji (le conte du Genji), un roman millénaire, l’équivalent japonais de L’Iliade, dont l’intrigue prend place à la même époque.
Omniprésente à travers les âges et les arts dédiés à l’automne, la feuille d’érable, symbole absolu du kōyō, se retrouve déclinée sans fin ; pâtisseries, tissus, kimonos… Le motif est partout.
Bien qu’il soit moins évocateur du Japon que son pendant printanier, le hanami et ses cerisiers en fleurs, le kōyō attire également des touristes étrangers. Yung, 90 ans, a fait le trajet depuis Taïwan avec son beau-fils. Il était étudiant à Kyoto 70 ans auparavant et a déjà effectué une demie-dizaine de voyages, principalement au printemps. L’automne est une première. « Je suis heureux de l’avoir vu. C’était le bon moment », sourit-il simplement.
D’autres viennent expressément pour « chasser ». Jacques, 61 ans, fait le voyage pour la troisième fois depuis la Suisse.
« Nous avions été émerveillés une première fois par l’automne, à l’occasion d’un mariage. Puis nous sommes venus au printemps. Cette fois-ci, nous sommes revenus uniquement pour admirer les couleurs automnales. L’atmosphère est extraordinaire à Kyoto, surtout lorsque les temples rouvrent leurs portes la nuit tombée », renchérit-il.
Japonais ou étrangers, tous veulent à leur façon réussir leur saison de chasse. Et pour ne rien laisser au hasard sur un archipel soumis à de forts contrastes climatiques, une carte météorologique interactive permet de suivre en temps réel le stade de coloration des feuilles.
L’hiver approchant, les connaisseurs se hâtent pour profiter des derniers sursauts de l’automne. Chacun cherche à embrasser du regard le rouge incandescent du momiji, comme pour le figer.
Telle la main droite
D’une sage-femme
La feuille d’érable en automne *
* Haïku de Samboku, 17e siècle.
Photos : Camille Delbos
2 réponses
Merci pour la découverte de ce beau rituel !
Merci à vous ! C’est un plaisir pour moi de partager ce moment hors du temps dont seuls les Japonais ont le secret !