Que faire de notre colère ? Il n’y a pas de présidentielle B

ans cet entre-deux-tours de la présidentielle où nous n’avons plus le choix qu’entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, de nombreux citoyens, écœurés, qui pour certains ont même pleuré ce 10 avril 2022 en voyant que le compte n’y était pas pour leur candidat, Jean-Luc Mélenchon, ont l’intention de s’abstenir, d’aller voter blanc, d’aller voter nul, parce que « #NiMacronNiLePen ». Le hashtag fleurit partout, décliné à foison sur les réseaux sociaux et les pancartes d’électeurs déçus, déclamé à loisir dans les amphis par de jeunes sorbonnards fous de colère.

Quand vous êtes en colère, comptez jusqu’à quatre. Quand vous êtes très en colère, jurez. – Mark Twain

La colère est-elle mauvaise conseillère en politique ? Je vais vous parler de mon cas personnel. Un jour, par colère, par dépit, et aussi parce que j’avais un rhume qui me fatiguait, je me suis abstenue d’aller voter. C’était le 21 avril 2002. Aucun candidat ne représentait mes idées. Je ne devrais peut-être pas vous raconter ça, peut-être certains d’entre vous ne le comprendront pas, mais je sais que d’autres me comprendront : j’avais tellement la haine contre Lionel Jospin, son homophobie crasse, ses privatisations en rafale, ses trahisons (« Mon projet est moderne, pas socialiste » déclarait-il le 21 février 2002), sa fixette sur le voile, sa Loi sur la Sécurité quotidienne attentatoire aux libertés fondamentales… et j’en passe, que l’idée de voter Jean-Marie Le Pen, mon ennemi juré sur l’échiquier politique, m’avait même traversé l’esprit. Histoire de foutre le bordel, puisque cela ne pouvait pas être pire. C’est dire le niveau de désespoir politique que j’avais atteint.

Et je dois préciser encore une chose : je m’étais abstenue ce 21 avril 2002 en sachant pertinemment, qui plus est, que le président du Front national pouvait arriver devant Lionel Jospin – c’était ce que me disaient mon nez et les courbes des sondages. Simplement, quand j’ai vu le duel épouvantable qu’avaient choisi mes compatriotes, une affiche Chirac-Le Pen, j’ai regretté de ne pas être allée voter pour Taubira, Mamère ou je ne sais-qui, parce que j’ai réalisé que si je ne m’exprimais pas d’autres le feraient toujours à ma place, que le fait de m’abstenir n’avait ni annulé ni affaibli le scrutin comme je l’avais inconsciemment cru, et que je devais défendre mon bout de gras dans ce pays à l’avenir parce que bouder les urnes ou bouder dans l’urne n’était pas une option raisonnable à mes yeux dans la mesure où mon idéal social est un collectif fraternel, ouvert et solidaire composé d’individus libres et autonomes.

J’ai l’impression de voir plein de gens autour de moi dire qu’ils vont foutre le feu à leur maison, et que ce sera « bien fait pour Emmanuel Macron ». Un antifa sur Facebook

Cette expérience, et chacun doit faire les siennes bien évidemment, m’a amenée à décider que je devais prendre mes responsabilités, faire ma part, puisque on est tous dans le même bateau (Gaïa, vous m’aurez compris), et que sur un bateau on prend son quart et on fait la corvée de patates.

Le dimanche 10 avril 2022, je me suis forcée à aller voter : aucun candidat ne proposait un programme fondé sur un principe de modération, qui nous sortirait du capitalisme, de la société de consommation, du productivisme, des politiques natalistes, du tourisme de masse, qui nous protégerait des guerres alimentaires qui se profilent et de la destruction des sols, de la pollution atmosphérique et de l’extinction des espèces. J’étais très en colère, dépitée par une campagne sans débat démocratique, je n’avais même pas reçu les professions de foi, et j’étais crevée à cause d’un rhume (qui s’est avéré être le covid).

Dimanche prochain, je vais encore devoir me forcer, mais franchement je ne vois pas comment faire autrement. J’entends des gens, des amis, dire qu’ils en ont marre, qu’ils vont sortir du piège, que cette fois « on » ne les aura pas avec ce chantage au danger de l’extrême droite, et que cette fois ce sera sans eux. « Mains propres et tête haute… », n’était-ce pas le slogan de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990 ?

Il n’y a pas de planète B, il n’y a pas non plus de présidentielle B.

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À propos de l'auteur
Journaliste, co-fondatrice du journal minimal, je suis spécialiste des questions de société.
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