Le quotidien Libération a publié hier une violente tribune anti-véganes. Le journal minimal, qui revendique une ligne éditoriale veggie-friendly, répond à ces attaques.
Dans une tribune parue dans son édition du 19 mars 2018, Libération donne la parole à trois spécialistes de l’alimentation : le politologue décroissant Paul Ariès, le journaliste écologiste Frederic Denhez (France Inter) et la sociologue Jocelyne Porcher (Institut national de la recherche agronomique). Ces experts signent un texte intitulé : « Pourquoi les végans* ont tout faux », dans lequel ils accusent les citoyens qui refusent l’exploitation animale d’être « dangereux » et « idiots ». Le texte regorge de reproches plus ou moins affligeants, auxquels nous répondons point par point.
- * Faut-il écrire végans ou véganes ?
- Au journal minimal nous écrivons végane avec un « e », comme mélomane. Cette graphie francisée a l’avantage d’être épicène (identique au masculin et au féminin). L’orthographe du mot n’étant pas encore fixée, nous nous rangerons au choix de l’Académie.
En savoir plus.
1. « Les végans prônent une rupture totale avec le monde animal »
Les véganes prônent une rupture totale avec l’exploitation du monde animal, ce qui n’est pas vraiment la même chose.
2. « Manger de la viande a toujours fait partie de l’histoire humaine »
Ne pas en manger aussi. De plus, le fait que quelque chose existe depuis toujours ne prouve pas que c’est quelque chose de bien ; les guerres aussi ont toujours fait partie de l’histoire humaine.
3. « Depuis douze mille ans, nous travaillons et vivons avec des animaux parce que nous avons des intérêts respectifs à vivre ensemble plutôt que séparés »
Depuis douze mille ans, des tribus humaines sédentarisées jusqu’à nos nations capitalistes, nous réduisons les animaux en esclavage et nous les tuons à la chaîne. Notre intérêt là-dedans est évident, mais le leur ?
4. « Nous dénonçons le mauvais coup que porte le véganisme à notre mode de vie, à l’agriculture, à nos relations aux animaux et même aux courants végétariens traditionnels »
Si un mouvement peut porter un mauvais coup à la société de consommation, à l’agriculture, à nos rapports de force avec les animaux, et rénover le végétarisme, saluons-le.
5. « Les animaux domestiques ne sont plus, et depuis longtemps, des animaux ‘naturels’ (…). Ainsi est-il probable qu’ils ne demandent pas à être ‘libérés’. Ils ne demandent pas à retourner à la sauvagerie. »
Le fait d’avoir domestiqué les animaux ne nous donne pas pour autant le droit de parler à leur place, de les enfermer, de les faire travailler ou de les mutiler. Arrêter de mettre les hamsters en cage, de faire tourner des chevaux dans les manèges, de tirer sans relâche le lait des vaches, peut-on vraiment considérer que ce serait renvoyer ces animaux « à la sauvagerie » ?
6. Le véganisme, (…) ce sont des rendements ridicules pour un travail de forçat car le compost de légumes est bien moins efficace pour faire pousser des légumes que le fumier animal. »
Étonnant, les auteurs de la tribune n’ont apparemment jamais entendu parler de la permaculture.
7. « Manger végan, l’absolu des régimes ‘sans’, c’est se condamner à ingurgiter beaucoup de produits transformés, c’est-à-dire des assemblages de molécules pour mimer ce qu’on a supprimé. »
Pour éviter de faire de l’anémie, les végétaliens doivent prendre des comprimés de vitamine B12, où est le problème ?
8. « Les vaches et moutons sont les garants de l’extraordinaire diversité paysagère qui fait la France, qui est aussi celle de notre assiette. Les animaux et leurs éleveurs sont les premiers aménageurs du territoire.
Une vie réussie pour des bovins ou des ovins serait donc d’agrémenter nos « paysages » et nos assiettes et d’ « aménager » notre territoire. Toujours au service de l’homme, ces braves bêtes.
9. « Les théoriciens et militants végans ne sont pas des révolutionnaires, ils sont, au contraire, clairement les idiots utiles du capitalisme. »
Par leur refus de l’exploitation des animaux, les véganes favoriseraient malgré eux le maintien du système capitaliste. Tandis que défendre la culture de l’élevage, c’est complètement subversif ?
10. « Le véganisme est l’ambassadeur de l’industrie 4.0. (…) On ne compte plus les investissements et brevets déposés pour produire de la ‘viande’ en cultivant en laboratoire des cellules musculaires de poulet, de bœuf ou de porc. »
D’une part, les véganes auront sans doute de larges réticences à ingurgiter de la viande de synthèse, celle-ci étant issue au départ d’animaux. D’autre part, il s’agit objectivement d’une nouvelle forme d’élevage, mais sans meurtre, donc finalement moins gore, non ?
10. « Le véganisme est dangereux. Il participe à la rupture programmée de nos liens avec les animaux domestiques. »
Le véganisme ne prône pas la rupture de nos liens avec les animaux domestiques, il prône la fin du spécisme.
11. « Le véganisme menace paradoxalement de nous faire perdre notre humanité incarnée et notre animalité en nous coupant des réalités naturelles par des zoos virtuels (…). »
Les auteurs de la tribune défendent l’existence des zoos, qui leur permettent de ressentir leur propre « humanité » et « animalité ». Ils ne comprennent pas ces véganes qui vont plutôt ressentir un malaise en voyant des tigres, des aigles et des lamantins emprisonnés, et qui militent pour des zoos avec des hologrammes. C’est pourtant le sens de l’histoire et du droit des animaux, même André-Joseph Bouglione lancera en octobre prochain un éco-cirque 100 % humain, sans exploitation animale.
12. « Oui, véganisme rime avec transhumanisme. Un monde terrifiant. »
N’importe quoi.
13. « Don et contre-don sont aussi au fondement de nos rapports sociaux avec les animaux. Donner-recevoir-rendre est le triptyque de nos liens. Que sera l’humanité sans cet échange fondamental ?
La tribune s’achève par ce sous-entendu : les animaux que nous mangeons nous ont en fait « donné leur vie » pour nous remercier de les avoir nourris. Qui peut croire à cette fable ?
• N.B. Nous avons été un peu surpris de lire de tels arguments sous la plume du décroissant Paul Ariès. Il y a peu, nous publiions une fiche de lecture consacrée à l’un de ses ouvrages, Histoire politique de l’alimentation, qui dénonçait les politiques de domination.
• Lire aussi la réponse de L214 à cette tribune et celle de l’écrivain Aymeric Caron.
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6 réponses
Merci pour cette réponse.
En note, vous vous étonnez de cette prise de position par Paul Ariès. Selon les Cahiers antispécistes, il n’en est hélas pas à son coup d’essai:
http://www.cahiers-antispecistes.org/lecture-2/
Bonjour Haricot, de rien, et merci pour le lien, très intéressant ! 🙂
Merci Emma pour ce coup de colère. Je suis un grand lecteur de Libé depuis 30 ans. Je n’ai pas vu celle-ci! N’est-ce pas ce qu’on appelle une tribune réactionnaire?
De rien cher Pierre, et oui réac c’est le mot, je trouve tellement bizarre que Libé accueille ce genre d’opinion.
Emmanuelle, nouvelle tentative de nos amis de Libe d’enrichir un peu le débat dans leur interview de ce matin http://www.liberation.fr/debats/2018/04/05/mettre-les-hommes-et-les-betes-sur-le-meme-plan-est-une-position-intenable-mais-passionnante_1641343
C’est déjà mieux et pose de vraies questions de fond. La fin est toutefois jusqu’auboutiste mais bon c’est de la philo 😉
Hello Pierre, merci pour le lien, Libé essaye de se dépatouiller mais je trouve qu’avec ce nouveau texte, certes plus calme mais caricatural encore, ils s’enfoncent…