Notre reporter Isabelle Toquebeuf a pu rencontrer des chefs amérindiens de passage à Paris pour porter la parole des peuples des forêts d’Amazonie.
En marge de la Cop21 et de son cocktail de représentants officiels est organisée la Quinzaine Amazonienne. C’est une initiative citoyenne qui rassemble les représentants des peuples autochtones des cinq continents. Pour le journal minimal, je suis allée interviewer Puwê Luis, Jiribati et Marishöri, et voici ce qu’ils m’ont dit.
Des Indiens dans la ville, c’est assez inhabituel pour nous. Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?
— Je suis Puwê Luis et je suis un leader politique, culturel et spirituel du peuple Puyanawa au Brésil.
— Nous sommes Marishöri et Jiribati et nous représentons le peuple Ashaninka du Pérou.
Pourquoi êtes-vous à Paris ?
Nous sommes là pour apporter la simplicité que nous utilisons dans nos forêts. Pour sensibiliser et faire en sorte que tout le monde travaille ensemble à protéger la nature. Que l’on soit parisien ou bolivien, c’est toute l’humanité qui est concernée. Nous devons lutter contre quelque chose qui met en péril notre survie, celle de la Terre et de tous ses êtres vivants. Nous sommes là pour chercher des appuis, pour aider notre communauté en réunissant toutes les bonnes volontés possibles : amis, hommes politiques, entreprises. Nous voulons sauver la terre de nos ancêtres. Et donner à tous le message que la forêt, notre oxygène commun, est menacée. Nous pensons qu’avec la Cop21, c’est le bon moment pour être entendus puisque tous les pays sont présents.
Par quoi la terre de vos ancêtres est-elle menacée ?
En Amérique du Sud et surtout en Amazonie, des lois gouvernementales donnent la forêt en concession à de grands groupes privés. Concessions minières, pétrolières ou forestières, extraction d’or, tout cela détruit notre oxygène. L’élevage grignote nos terres et repousse sans cesse les limites de la forêt. L’État de l’Acre au Brésil (frontière péruvienne) veut ouvrir une route pour relier le Pérou à un projet d’exploitation pétrolière. Cela met en péril les terres que le gouvernement brésilien nous a pourtant reconnues ! Nous sommes seulement 622 personnes à y vivre de manière autonome et le gouvernement n’hésite pas à utiliser nos terres pour y développer ses projets d’exploitation.
« Bien vivre, ce n’est pas vivre avec beaucoup de choses. C’est vivre bien ensemble. »
Pourquoi votre gouvernement ne vous entend-il pas ?
Parce qu’il n’a pas compris que le monde appartient à l’humanité et pas à un petit groupe.
Êtes-vous des militants écologistes ?
Hommes politiques, journalistes, écologistes, on a tous quelque chose à faire, à notre niveau, pour tendre vers le meilleur. Nous sommes des activistes de la nature et de l’humanité. Nous sommes les représentants d’un peuple autochtone qui vit en harmonie avec la nature. C’est notre passé, notre présent et notre avenir. Ce lien avec la terre fait partie de notre essence. Nous y trouvons notre nourriture, notre médecine. Notre spiritualité aussi. Lorsque nous chassons, nous prélevons uniquement ce dont nous avons besoin. Nous respectons la vie, sous toutes ses formes. Les Ashaninkas sont liés aux esprits de la forêt. Notre esprit est connecté à la nature.
Vous êtes des peuples traditionnels. Quel est votre rapport à la modernité ? Aux nouvelles technologies par exemple ?
La technologie qui consiste à tout tuer avec la chimie, les barrages, nous la rejetons. Mais la technologie reste un outil qu’il est possible d’harmoniser avec la nature à la condition d’avoir conscience de ce que l’on fait et des conséquences de nos actes. La technologie dépend de qui l’utilise. Tout le monde devrait pouvoir débattre d’une décision. C’est le cas chez nous. Les technologies de l’information et de la communication nous permettent de découvrir plein de choses et d’être là aujourd’hui. Mais elles peuvent aussi être une menace pour nos traditions et notre identité.
« Où sont les jardins chez vous ? Vous avez beaucoup de pierres mais si peu de jardins… »
Quelle serait la première étape d’un changement en faveur de la nature ?
En prenant conscience de ce que l’on fait ! En réalisant que l’on fait quelque chose de mal à la nature et aux autres. Le président bolivien Evo Morales avait fait sien le slogan « Bien vivre ». Il faudrait que tout le monde se l’applique. Bien vivre, c’est vivre dans le respect de soi et des autres. Bien vivre ce n’est pas vivre avec beaucoup de choses. C’est vivre bien ensemble, dans le respect de la communauté et de la nature, y compris quand on l’exploite.
La modération…
Exactement. (Marishöri se tourne vers la Tour Eiffel) : Où sont les jardins chez vous ? Vous avez beaucoup de pierres mais si peu de jardins…
Nous avons dans notre journal une rubrique consacrée aux petits gestes du quotidien. Quel serait le vôtre ?
Tous les désastres viennent d’un déséquilibre entre la nature et nos sociétés. Par exemple, vous utilisez un emballage individuel jetable tous les jours pour votre petit déjeuner. Il faut éviter cela. Et poursuivre la prise de conscience au niveau global. Les enfants doivent apprendre à donner de l’attention à la faune et à la flore.
Votre cri du cœur ?
On vit un moment critique. Il faut poursuivre la conscientisation. C’est pour cela que nous sommes là. Nous devons parvenir à réunir les esprits des mers, des forêts, des océans et des rivières pour qu’ils renforcent le nôtre. Nous devons toucher le cœur des gens, les sensibiliser afin que tout le monde protège la Terre. C’est la condition d’un réel développement durable.
Je remercie Anouk Garcia et Clémentine Bonvarlet pour les traductions en portugais et en espagnol, grâce auxquelles cet entretien a été possible.
Un second merci à Anouk Garcia pour ses photos. Photo-journaliste, elle expose à la gare Montparnasse (Paris 15e) jusqu’au 15 Janvier 2016 (L’esprit des origines) et à la Bellevilloise (Paris 20e) à partir du 9 décembre.
En savoir plus : La Quinzaine Amazonienne