Squat story #17 : Sitôt entrés dans le couvent abandonné, les artistes aux prises avec la fureur du maître d’ouvrage

Tandis que les prix de l’immobilier flambent dans la capitale, des artistes ouvrent des squats. Après un immeuble vide dans le 9e (Le Post), ils se sont emparés d’un couvent abandonné dans le 14e.

À peine installés dans le couvent abandonné, les artistes reçoivent de la visite
Au 61 bd Saint-Jacques (Paris 14e), le jardin de l’ancien couvent, qui bientôt sera surnommé Le Jardin Denfert.

Le feuilleton Squat story est raconté ici par Gaspard Delanoë, figure historique des squats d’artistes parisiens, ouvreur d’immeubles vides dont le célèbre 59 Rivoli, conventionné avec la Ville de Paris. Dans le précédent épisode, il racontait la manière dont ses camarades et lui avaient réussi à entrer dans un ancien couvent abandonné à Paris 14e et à couper le son de l’alarme anti-intrusion.

Lettrine, La plupart des artistes redescendirent dans le jardin. La banderole « Encore un putain d’immeuble vide » avait été rangée et pliée, prête pour une autre fois.

Certains s’amusaient déjà à recenser le nombre de piaules que contenait l’ancien couvent – 84 est le chiffre qu’ils découvriraient bientôt sur le plan officiel du bâtiment trouvé dans le bureau d’accueil…

Je retrouvai enfin Alex et Kevin [voir Nos nuits au Post #08 : Les ouvreurs de squats fomentent un gros coup, au nez et à la barbe de la mairie de Paris]qui s’étaient assis sur l’escalier à moitié détruit, au niveau du rez-de-jardin. Le soleil semblait s’être assoupi au milieu du ciel ; pas un souffle de vent ne venait caresser les hautes branches oubliées.

BON COURAGE POUR NOUS DÉLOGER !

Kevin était hilare. Alex euphorique. Il y eut quelques instants de félicité absolue. Le sentiment d’avoir joué un bon tour au destin et de s’en être sorti sans une égratignure.

Alors les téléphones chauffèrent de partout. Il s’agissait à présent de faire venir le plus de monde possible sur le lieu, le plus rapidement possible afin de bien faire comprendre aux autorités que s’ils voulaient nous déloger, une dizaine de flics du quartier ne suffiraient pas, mais qu’il allait falloir mobiliser trois putains de fourgons de CRS.

Une heure et quart passa, durant laquelle nous reçûmes le renfort d’une petite dizaine de personnes, activistes, sympathisants.

« QUELLES SONT VOS REVENDICATIONS ? »

Puis enfin l’un d’entre nous, qui s’était posté du côté du vieux portail, entendit du bruit, quelqu’un demandait à entrer, de la société Paris Habitat. Alex, Kevin, Bruno Dumont (un des ouvreurs du 59 Rivoli) et moi rappliquâmes et la discussion commença.

— Bonjour, nous fit un monsieur d’une quarantaine d’années, la chemise bien repassée, le costume impeccable, je me présente, je suis Jean-Michel Levasseur, je suis cadre chez Paris Habitat et j’aimerais savoir quelles sont vos revendications.

Nous aperçûmes, quelques mètres en contrebas, une voiture dans laquelle nous distinguâmes un vigile qui semblait passablement énervé.

IMPRESSIONNÉ PAR NOTRE RÉPONSE

— Bonjour, répondîmes-nous en chœur, eh bien, nous sommes un groupe d’artistes, nous occupons le bâtiment en effet… comme vous le savez, c’est un bâtiment qui est vide depuis un certain temps… et il se trouve que nous, nous sommes constitués en collectifs qui montons, de temps à autre, des actions de protestation contre ce qui nous apparaît comme un gâchis immobilier incroyable et injustifiable alors que la part que chaque parisien consacre à son loyer représente plus de 60 % de son budget… (nous avions bien appris notre leçon).

Le type parut impressionné par notre réponse.

— Une petite minute, dit-il, est-ce qu’on peut se présenter avant de renter dans le vif du sujet ?
— Ok, moi je m’appelle Alex Gain et j’ai participé à plein d’actions de ce type au cours des années passées, fit Alex.
— Moi c’est Kevin, j’ai ouvert un lieu rue Mousset-Robert dans le 12e il y a deux mois et j’ai une association qui s’appelle R.A.S. et qui cherche à conventionner ce genre d’occupations, fit Kevin.
— Alors moi, c’est Bruno… mais il n’eut pas le temps de finir car le type l’interrompit: — Ah mais je vous connais, c’est vous qui avez ouvert le Jardin d’Alice il y a dix ans dans le 18e, au 40 rue de la Chapelle ?
— Ah bah oui, fit Bruno tout content, ah bah c’est moi oui, comment allez-vous ?

Le type rigola, ça détendit un peu l’atmosphère.

— Et moi, c’est Gaspard Del…
— Oui, Gaspard Delanoë, ça va, on vous connaît, vous…
— Ha ha, ce fut mon tour de rigoler.

« NOUS TENONS NOS ENGAGEMENTS »

La tension venait de baisser de trois crans en quinze secondes et nous en profitâmes pour raconter au représentant de Paris Habitat que nous étions cinquante à l’intérieur et que nous n’avions pas l’intention de quitter les lieux… mais qu’en revanche, nous étions très engagés et que nous souhaitions occuper le bâtiment jusqu’à ce qu’un projet réel et sérieux soit mis en route.

— Nous promettons de quitter le lieu au premier coup de pioche, déclara Alex, c’est d’ailleurs ce que nous avons stipulé en début d’année avec une grosse compagnie d’assurances dans le 9e arrondissement dont nous occupons l’immeuble, et c’est déjà ce que nous avions fait l’année dernière avec l’entreprise Vinci dans un lieu rue Philippe-de-Girard. Nous tenons nos engagements, preuves à l’appui.
— Vous savez bien qu’on le fait, renchérit Bruno Dumont, est-ce qu’on a quitté le 40 rue de la Chapelle finalement ou pas ?

Jean-Michel Levasseur opina du chef pour la première fois. Il semblait prendre nos propos très au sérieux.

UN SECOND VISITEUR

— Écoutez, moi, je ne peux rien vous répondre dit-il un peu embarrassé, je vais bien entendu immédiatement m’en référer à la direction, ce n’est de toute façon pas moi qui prendrai la décision, et puis on verra bien.
— Oui, mais est-ce que vous avez une idée de la date du début du chantier sur ce bât’ ? demanda Kevin, ce serait quand même bien de le savoir…
— Je ne peux pas vous dire… vraiment je ne peux pas vous dire, fit Levasseur pour toute réponse.

Nous échangeâmes encore quelques minutes quand tout à coup le maître d’ouvrage déboula en voiture dans la petite allée. L’air furax, il se dirigea vers nous d’un pas excité.

PÉTAGE DE PLOMB

— C’est lamentable ! cria-t-il, lamentable ! Vous savez très bien qu’il y a des travaux prévus sur ce lieu, des travaux très importants qui ont pour but de transformer ce lieu en résidence pour les étudiants… et le résultat c’est qu’avec votre occupation à la noix, là, vous allez retarder le projet, les élus vont vouloir temporiser puisqu’on est en campagne électorale, le truc va traîner et le projet ne verra jamais le jour… c’est vraiment lamentable, tout ça pour des squatteurs…!!
— Écoutez monsieur, l’interrompis-je, la façon dont vous présentez les choses est…
— Non ! hurla-t-il, non ! Voyez-vous, je considère que la façon dont vous vous y prenez, c’est-à-dire de rentrer dans les lieux comme ça de façon illégale eh bien c’est comme si vous commenciez par mettre un doigt dans le c? de vos interlocuteurs !
— Quoi ?!? hurlai-je, vous êtes sérieux là ? Mais c’est insultant ce que vous dites là, c’est insultant !

J’étais furieux à mon tour.
Le ton monta.
Très vite.

Kevin tenta de calmer le jeu mais le maître d’ouvrage me hurlait dessus et je lui répondais en hurlant. Tout le monde était désemparé. Kevin me demanda de m’écarter et, par respect pour lui, je le fis. Le ton redescendit.

> Retrouvez la suite vendredi 22 novembre 2019 dans le journal minimal.
> À (re)lire : les autres épisodes de la série Squat story.

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À propos de l'auteur
Le mot performeur me semble le plus adéquat pour décrire mes différentes activités : colporteur de journaux, comédien, ouvreur de squats artistiques, chroniqueur au Huffington Post, candidat à diverses élections… J’ai publié mon premier récit, « Autoportrait (remake) », en 2017 aux éditions Plein Jour.
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