Squat story #22 : Des artistes parisiens ouvrent un squat à Saint-Germain-des-Prés mais la police débarque

Face à la crise du logement dans la capitale, des artistes errent de squat en squat. Virés du Post (Paris 9e), ils s’emparent de trois immeubles vides à Saint-Germain-des-Prés.

Les artistes squatteurs déroulent leurs banderoles sur la façade du squat de la rue Jacob
Rue Jacob (Paris 6e), à Saint-Germain-des-Prés, automne 2019, juste avant que la police ne débarque.

Le feuilleton Squat story est raconté ici par Gaspard Delanoë, figure historique des squats d’artistes parisiens, ouvreur d’immeubles vides dont le célèbre 59 Rivoli, conventionné avec la Ville de Paris. Dans le précédent épisode, il se demandait ce qu’allaient devenir les artistes éjectés du squat Le Post s’ils ne trouvaient pas rapidement un nouvel abri.

es dissensions se firent jour entre différents membres du Post et au terme de nombreuses discussions, deux groupes se formèrent. L’un, composé d’une dizaine d’artistes, allait tenter d’occuper un petit lieu repéré dans le 12e arrondissement de Paris. L’autre, qui rassemblait plus d’une vingtaine de personnes, cherchait toujours un bâtiment à squatter.

Je me souvins alors que depuis des années, l’adresse d’un incroyable bâtiment circulait dans le milieu des squats, sans qu’aucun collectif cependant ne se soit décidé à tenter l’assaut. Il s’agissait de trois immeubles, situés respectivement aux 37, 39 et 41 de la rue Jacob, dans le 6e arrondissement, propriétés de la Chancellerie des universités de Paris, autrement dit de la Sorbonne.

À L’ASSAUT DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS

Dans ce quartier, les appartements se négociaient au prix de 15 000 € le mètre carré. La surface totale des trois bâtiments s’élevant à peu près à 2 500 m2, on pouvait estimer le bien à 25 millions d’euros.

Il s’agissait d’un des quartiers les plus chers de Paris, donc l’un des plus chers du monde. Le quartier de Saint-Germain-des-Prés.

Nous décidâmes d’attaquer.

En mettant en commun les forces des vingt artistes du Post, plus une dizaine d’artistes du 59 Rivoli, plus une dizaine d’artistes d’un autre collectif – le DSXL – et des artistes du Jardin Denfert, nous allions tenter le coup, tout en sachant que dans un tel environnement, ultra-bourgeois, la police serait sur les dents, et qu’il nous faudrait faire preuve de patience, de persévérance et sans doute avoir un peu de chance…

VIVRES ET SACS DE COUCHAGE

Le dimanche 27 octobre 2019, vers 15 heures, nous nous retrouvâmes au pied de l’église Saint-Germain-des-Prés, la plus vieille abbaye de Paris. L’un de nous fit remarquer que cette église avait été bâtie il y a plus de mille-cinq-cents ans… Un bail…

Et c’est précisément ce que nous cherchions à signer nous aussi : un bail…

Plusieurs activistes s’étaient munis de sacs de couchages et de vivres car les premières nuits allaient être décisives. Il fallait s’installer, tenir, prendre possession des lieux progressivement et faire en sorte, le moment venu, que les flics se disent : « Bon sang, ces gars-là sont déterminés ! »

Vers 15h30, les ouvreurs marchèrent les premiers en direction de la rue Jacob.

Alex Gain [ouvreur du squat Le Post et du Jardin Denfert, N.D.L.R., voir les épisodes précédents]en était.

Et tous les autres – nous étions une quarantaine – vissés sur leurs portables, prêts à rappliquer dès que la voie serait libre.

PASSAGE SECRET

Sur le chemin, l’un d’entre nous se demanda si la rue Jacob avait été nommée ainsi pour rendre hommage au célèbre anarchiste Marius Jacob, l’auteur des Travailleurs de la nuit qui avait notamment déclaré lors de son procès en 1903 : « Je suis sans feu, ni lieu ni âge. Je suis vagabond, né à Partout, chef-lieu Nulle Part »,… une véritable profession de foi de squatteur avant l’heure !! (mais tel n’était pas le cas bien entendu, la rue avait été nommée au 16e siècle en hommage au patriarche biblique).

À 15h40, nous reçûmes le signal de l’ouverture. Les repérages avaient permis d’échafauder un plan d’attaque qui avait parfaitement fonctionné et en passant furtivement par une allée de la fac de médecine, située juste derrière les immeubles de la rue Jacob, nous pénétrâmes dans l’enceinte de la cour arrière du numéro 37 de la rue Jacob.

LES VIGILES ALERTÉS

Il ne fallut pas plus de cinq minutes, en passant par les caves, pour prendre possession des trois immeubles.

Cependant, comme nous le redoutions, une alarme s’était déclenchée dans un des bâtiments, et même si elle avait été très vite désactivée, nous étions désormais sous la menace de la réaction des vigiles qui avaient dû être alertés, quelque part dans un centre de surveillance…

Le temps se figea, les horloges s’arrêtèrent, les cœurs se mirent à battre.

Comme toujours dans ces instants qui suivaient l’ouverture, la réalité semblait soudain épaissie, à la fois plus ardente et plus lourde, ralentie.

Ralentie, on tâte le pouls des choses ; on y ronfle ; on a tout le temps ; tranquillement, toute la vie.
On gobe les sons, on les gobe tranquillement, toute la vie.
(…) — Henri Michaux

Une heure et demie passa, et puis ce fut la fin.
Le début de la fin.

Les premiers flics, les premières « patrouilles de sécurité « , les premiers OPJ (officiers de police judiciaire), les premiers fourgons de CRS venus se garer un peu partout alentour, on connaissait la musique, cette musique qui transformait une bande de joyeux drilles – ce que nous étions – en un dangereux groupe de hors-la-loi manifestement sur le point de troubler l’ordre public.

Dans quelques heures, le temps de mobiliser suffisamment de « forces de l’ordre », on expulserait une quarantaine de rêveurs et l’on rendrait au silence et à l’immobilité trois immeubles qui végétaient depuis plus de dix ans.

Ainsi allait la loi.
La loi des puissants.
La loi de ceux qui possèdent.
La loi qui protégeait les dominants et expulsait les sans.
Les sans feu, les sans lieu, les sans âge.

VISAGES EN PLEURS

Un jour passa, durant lequel la rue fut tout entière bouclée et les occupants des trois bâtiments privés d’eau et de victuailles, puis le recteur de l’académie de Paris, un certain Gilles Pécout, prétextant des « raisons de sécurité », demanda l’évacuation.

Le préfet donna l’ordre d’exécuter.

Et dans la nuit, dans cette nuit qui tombait si tôt – nous étions le 28 octobre –, je vis les visages des camarades en pleurs, entourés par des dizaines d’agents armés jusqu’aux dents.

Cette image me hante.

> Retrouvez le prochain épisode vendredi 14 janvier 2020 dans le journal minimal.
> À (re)lire : tous les épisodes de la série Squat story.

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À propos de l'auteur
Le mot performeur me semble le plus adéquat pour décrire mes différentes activités : colporteur de journaux, comédien, ouvreur de squats artistiques, chroniqueur au Huffington Post, candidat à diverses élections… J’ai publié mon premier récit, « Autoportrait (remake) », en 2017 aux éditions Plein Jour.
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