La contre-esthétique du gilet jaune ou le défilé anti-mode d’une France en travaux

Les défilés de gilets jaunes produisent une contre-esthétique efficace en terme de marketing politique. Sur nos routes ou dans nos rues grises, on ne voit qu’eux.

Gilets jaunes, Champs-Elysées, defile anti-mode
Défilé interdit sur les Champs-Élysées le 24/11/2018. Image : France2.

Il y a quelque chose d’absolument fascinant dans le mouvement des gilets jaunes, c’est le gilet jaune. Ce côté fluorescent, qui contraste tellement avec les tenues sombres des forces de l’ordre et de nos dirigeants exonérés d’ISF. Ce côté ouvrier de chantier, automobiliste en détresse, éboueur du petit matin ou gamin encadré lors d’une sortie scolaire. Le gilet jaune, c’est ce truc « moche qui ne va avec rien » (dixit Karl Lagerfeld) mais qui en cet automne 2018 nimbe tout citoyen qui le porte d’une espèce de lumière sulfureuse.

La semaine dernière, alors que je circulais à vélo dans Paris à la nuit tombée, deux lycéennes m’ont pointée du doigt, mi-amusées mi-effrayées : « Ah, voilà les gilets jaunes ! ». Bon, je n’étais pas vraiment en train de revendiquer quoi que ce soit, seule sur ma bécane, je voulais juste me rendre visible aux yeux des automobilistes et autres motocyclistes, ma dynamo étant HS… La confusion m’a fait rire et j’ai réalisé que cela devait faire cela à plein de gens en ce moment : on ne sait plus trop qui « en est » ou pas.

UN MANIFESTANT EN PUISSANCE

Obligatoire depuis 1992 pour « toute personne intervenant à pied sur le domaine routier à l’occasion d’un chantier ou d’un danger temporaire », le gilet jaune n’a cessé d’envahir et d’enlaidir notre quotidien. Depuis 2008, il est obligatoire dans les voitures et les coffres des motos sous peine d’une amende de 135 €, et il est obligatoire ou « conseillé » pour de plus en plus d’activités professionnelles. Ironie du sort, le port de ce vêtement rétro-réfléchissant, limite infamant, est aujourd’hui en train de se retourner contre la puissance publique qui l’a imposé.

Tous les citoyens (ou presque) ont un gilet jaune à portée de main. Et il suffit de l’enfiler ou de l’accessoiriser de manière ostentatoire (tour de cou, cape, bonnet phrygien…), pour devenir un manifestant en puissance. En outre, l’agglomération de tenues flashy produit une contre-esthétique redoutablement efficace en terme de marketing politique.

C’EST LE CHANTIER

Quel que soit le décor, un rassemblement de gilets jaunes, c’est frappant et ça passe bien à la TV : sur les routes anthracites, les rond-points gris, les autoroutes sales, leurs silhouettes se détachent. Samedi 24 novembre lors du premier défilé interdit sur les Champs-Élysées à Paris, on ne voyait qu’eux : tout ce jaune fluo répandu sur « la plus belle avenue du monde » que défiguraient ça et là, comme d’habitude, des panneaux publicitaires, des barrières vertes et du matériel de chantier – vite transformés en barricades. L’image, finalement, d’une France mise en travaux par des citoyens partageant la colère de ne pas être entendus.

Les revendications des gilets jaunes, envoyées le 29 novembre 2018 aux députés
« Députés de France, nous vous faisons part des directives du peuple pour que vous les transposiez en loi.

• Zéro SDF : URGENT.
• Davantage de progressivité dans l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire davantage de tranches.
• Smic à 1 300 euros net.
• Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes.
• Grand plan d’Isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages.
• Impôts : que les GROS (MacDo, Google, Amazon, Carrefour…) payent GROS et que les petits (artisans, TPE, PME) payent petit.
• Même système de Sécurité sociale pour tous (y compris artisans et autoentrepreneurs). Fin du RSI.
• Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé. Pas de retraite à points.
• Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
• Pas de retraite en dessous de 1 200 euros.
• Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances.
• Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés à l’inflation.
• Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
• Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des même droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français.
• Pour la sécurité de l’emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI.
• Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.)
• Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale.
• Que les causes des migrations forcées soient traitées.
• Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. Travaillez avec l’ONU pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile.
• Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
• Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. Vivre en France implique de devenir français (cours de langue française, cours d’histoire de France et cours d’éducation civique avec une certification à la fin du parcours).
• Salaire maximum fixé à 15 000 euros.
• Que des emplois soient crées pour les chômeurs.
• Augmentation des allocations handicapés.
• Limitation des loyers. Davantage de logement à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires).
• Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage, aéroport…)
• Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées.
• L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.
• Le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente.
• Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.
• Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.
• Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la terminale.
• Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.
• Le référendum populaire doit entrer dans la Constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700 000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale qui aura l’obligation, (un an jour pour jour après l’obtention des 700 000 signatures) de la soumettre au vote de l’intégralité des Français.
• Retour à un mandat de 7 ans pour le président de la République. L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la République permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participait donc à faire entendre la voix du peuple.)
• Retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillées dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans.
• Un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu’à ce que l’enfant ait 10 ans.
• Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.
• Pas de prélèvement à la source.
• Fin des indemnités présidentielles à vie.
• Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue. Taxe sur le fuel maritime et le kérosène.

Cette liste est non-exhaustive mais par la suite, la volonté du peuple sera entendue et appliquée au moyen de la création du système de référendum populaire qui devra rapidement être mis en place.
Députés, faites entendre notre voix à l’Assemblée.
Obéissez à la volonté du peuple.
Faites appliquer ces directives.
Les gilets jaunes.


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Journaliste, co-fondatrice du journal minimal, je suis spécialiste des questions de société.
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3 réponses

  1. Les gilets jaunes ont trois revendications principales :
    – le pouvoir d’achat (hausse des petits revenus)
    – la justice fiscale (suppression des flat taxes)
    – la démocratie (RIC et référendum budgétaire)

    Je suis « gilet jaune » depuis novembre 2018. À Lux (71) nous avons voté en assemblée générale une revendication très importante et complémentaire au RIC : le transfert du pouvoir budgétaire au peuple. Voyez notre pétition (lien). Si vous approuvez signez, mais surtout PARTAGEZ. Car on arrive pas à percer le mur médiatique …

    https://change.org/p/supprimez-les-taxes

  2. Les gilets jaunes ! Quand la souffrance au travail et l’isolement social produisent un mouvement de revendication pécuniaire… C’est de l’enfumage, car comparé à 50 ans en arrière notre pouvoir d’achat a doublé !! Comment peut-on dire (comme je l’ai lu) « on crève de faim » « on veut vivre dignement » (sous-entendu avec plus de pognon)  » la fin du monde ? Moi c’est la fin du mois qui m’intéresse » ??? Je vis avec environ 500 € par mois (donc bien moins que les gilets jaunes) et je ne me plains pas (je précise que je n’ai pas de famille).
    Pour moi, ce mouvement marque l’absence de perspective : le toujours plus matérialiste est une impasse. C’est comme une drogue : il faut toujours augmenter la dose. Quand consommer sert de palliatif à un manque d’harmonie sociale…
    La vérité est qu’il faut sortir du capitalisme, trouver un équilibre entre autonomie et entraide. Promouvoir l’éducation à la bienveillance au lieu de la compétition.
    Un seul point positif dans ce mouvement : le désir de démocratie directe. Il est clair que la démocratie représentative est néfaste, car elle instaure de facto des pouvoirs, qui sont incompatibles avec l’intérêt général. Car : comment éliminer ses intérêts personnels (indestructibles) quand on travaille pour les autres ?

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