J’ai passé 5 jours tout nu, sans parler, sans manger ni me laver… enfin presque

Comme promis, voici le récit de mes vacances à l’extrême frontière du minimalisme : dépouillé de tout ! Mais vivre en toute simplicité a été bien moins simple que prévu.

Crédit photo : Jean-Louis Mazieres
Étude de jeune homme nu (extrait), Frédéric Bazille, 1870. Crédit photo : Jean-Louis Mazieres.

Lorsqu’un ami m’a proposé cet été les clés de son deux-pièces avec jardin à La Rochelle, non loin d’un camping naturiste, j’ai accepté immédiatement, y voyant l’occasion de passer une semaine de vacances dans le strict respect des principes et conseils que je prodigue au fil de mes Minima Listes.

Je suis parti léger : dans mon sac, une large serviette dans le style paréo, un gant de crin, une brosse à dents, un peigne en bois, vingt sachets de thé vert, un bloc note et trois crayons, un tube de crème solaire bio, une paire de tongs en pneus recyclés, des baguettes chinoises et un chargeur solaire. Le tout pour 2 kg. Décidé à passer le plus clair de mon temps en costume d’Adam, j’abandonnai tout superflu : au diable savon, dentifrice, parfum…

Sur moi, donc, les seuls vêtements qui allaient habiller mon séjour : un caleçon, une paire de soquettes, un short, un polo, des chaussures bateau, un chapeau de paille et mes lunettes de soleil. En poche : mon passeport, ma carte bleue, un téléphone type Nokia 3210 et Le livre de la macrobiotique, de Michio Kushi. Sur place, j’achèterai un paquet de bicarbonate de soude et des citrons verts : le combo magique avec lequel je me confectionnerai un shampoing maison, ferai le ménage et assaisonnerai mes plats.

DÉBRANCHER LA TÉLÉ

Me voilà enfin prêt. J’entame ces vacances par le fameux jeûne préliminaire de trente-six heures que je vous conseillai dans un de mes précédents articles. Lorsque le lendemain j’atteins donc la gare de La Rochelle… il n’est que midi mais je suis rongé par la faim.

Dès mon arrivée dans la maisonnette, j’adopte ma tenue d’intérieur : à poil. Puis, je tente de créer un espace minimaliste : je débranche la grosse télé noire et recouvre l’écran d’un drap blanc et je masque le miroir de la salle de bain d’un torchon à carreaux. Ça m’évitera de m’admirer tous les matins. Une bonne façon d’endormir un peu mon égo.

13 heures. Trop chaud pour sortir. Sur la table du salon, ironique, mon hôte a laissé en évidence le dernier livre de Jean-Laurent Cassely, intitulé La Révolte des Premiers de la Classe. Un essai sur ces surdiplômés qui abandonnent leur « job à la con » de cadre sup’ pour ouvrir une fromagerie artisanale dans le Marais. Une saine lecture qui m’occupe l’esprit, le temps que le soleil quitte son zénith.

Vers 15 heures, l’estomac noyé sous un litre de thé au jasmin, je me risque dehors – sans oublier de me rhabiller. Direction la seule épicerie bio et locavore du coin, dénichée la veille de mon départ sur le Web. Privé de smartphone j’entame mon périple en interrogeant un passant : l’épicerie est à plus de vingt minutes de marche. C’est loin. Surtout quand on porte des tongs en pneus recyclés.

MISTER MINIMAL, C’EST MOI !

Le trajet me laisse le temps de méditer sur l’absurdité d’une société où un seul commerçant par ville vend des produits locaux, quand tous les autres importent de la nourriture industrielle. Dans ces conditions, on comprend que les gens aient du mal à changer de mode de vie…

J’atteins enfin mon but. Au rayon vrac, je remplis des sachets de riz complet, de quinoa, de légumineuses, d’amandes et de fruits secs. J’ajoute quelques carottes, tomates, du tofu, des betteraves en pickles lactofermentés, des pêches et des pommes du verger, du pain complet. En guise de plaisir gourmand-croquant, je m’offre une tablette de chocolat équitable et quelques bières bio du coin. Surtout, pour rompre mon jeûne sans me goinfrer, j’opte pour une soupe miso de qualité, avec des champignons et des algues lyophilisées. Bref, s’il existait un concours de « Mister minimal », je mériterais une place sur le podium !

Les tongs ayant eu raison de mes pieds, je rentre en bus.

De retour dans la « case » de mon ami, je m’enduis les pieds d’un mélange ultra efficace de miel et d’huile d’olive.

J’AI PRESQUE OUBLIÉ MA FAIM

17 heures : c’est le moment parfait pour livrer mon corps à l’océan ! La plage naturiste est pleine. Oui, car le nudiste sort le soir, à la fraîche, histoire de s’éviter un coup de soleil aussi mal placé que votre esprit.

Ce qui est génial par ici, c’est que je n’ai plus besoin de rentrer le bide : tout le monde a déjà le matos à l’air et personne n’a plus rien à cacher – sauf, parfois, une carte bleue qui dépasse de la raie des fesses. Je vous assure, ça détend.

Je fais agréablement trempette et reviens pour une douche dé-salante, tiède et sans savon. J’ai presque oublié ma faim à l’heure d’entrer en cuisine. Voyant l’eau bouillir dans la casserole, je préfère enfiler un caleçon. Un accident est si vite arrivé.

Ce soir, la soupe miso, accompagnée de pain grillé recouvert d’une tomate pelée découpée à la baguette chinoise, le tout arrosé d’une bière et dégusté en silence… fut mon meilleur repas depuis des lustres. En savourant mes deux carrés de chocolat du soir, j’en vins à la conclusion que rien ne vaut le goût de l’effort.

Crédit photo : Jacques Tibéri.
Le contenu du sac de Jacques Tibéri. Crédit photo : Jacques Tibéri.

Depuis combien de temps n’avez-vous pas été réveillé par la faim ? Quel délice. Je m’extirpe du sommeil, ouvre les volets et m’étire dans une salutation au soleil bienfaitrice. Puis, je m’offre une brève douche à l’eau claire. J’utilise le gant de crin tous les deux jours pour balayer les peaux mortes et je me frictionne les cheveux avec un mélange bicarbonate/jus de citron. Séché mais toujours dévêtu, je m’attable face à une pomme, un thé et une tranche de pain complet. Alors, oui, c’est vrai, à la fin de ce frugal petit-déjeuner, j’ai bien envie de me taper toute la boite de Spécial K qui traîne dans un placard… mais je résiste !

Déjà 10 heures ! Enfin je dis « déjà »… je devrais dire « à peine ». Car, avec seulement deux livres et un téléphone mobile qui n’a ni jeu ni même l’option radio, j’ai vite fait de m’ennuyer. Heureusement, mon hôte est abonné à l’UFC Que Choisir. La seule lecture des Unes (« Perturbateurs endocriniens notre santé en danger », « Hygiène encore trop de produits toxiques », « Trop de pesticides dans les fruits », « Peut-on encore manger du thon ? »…) me remotive à bloc !

J’ENTAME UNE AUTO-PSYCHANALYSE

Je tente de jardiner un peu. À cause des orties, difficile néanmoins de rester nu. J’ai donc tôt fait d’enfiler mon slip de bain. Quelques centimètres de tissu, qui me font instantanément passer de l’homme sans fard au gogo de plage. Parfois, j’ai l’impression que notre chère civilisation ne tient qu’à un fil ! Oui, je sais, la cure de silence me rend philosophe.

Ainsi s’égrènent les jours. De balade en baignade, je lis, j’écris, je jardine, nu 22 heures sur 24. Au bout de deux jours, ça y est: je commence à converser avec moi-même. Le troisième jour, je m’ennuie tellement que mon esprit se met en surchauffe : je me parle en alexandrins. J’entame même une auto-psychanalyse à base d’auto-hypnose. J’ai besoin de sortir. De voir un spectacle. Un besoin viscéral. Alors que j’étais jusqu’ici cerné par d’incessants spectacles publicitaires, sur les réseaux sociaux, les kiosques à journaux, mon ordinateur, ma télévision… cette cure de solitude m’apprend combien le spectacle m’est nécessaire.

Ce besoin d’assister coûte que coûte à une représentation est tellement fort que le lendemain matin, j’hésite un instant à me rendre à la messe. Je préfère cependant réserver un billet de théâtre pour le soir même. On joue Chapeau de paille d’Italie, de Labiche. Je ne connais pas cette pièce, mais je suis déjà aussi excité qu’un geek devant le générique du premier épisode de la dernière saison de Game of Thrones.

JE SUIS PUCEAU DU CERVEAU

Pour faire honneur au spectacle vivant, j’ai lavé mon caleçon. Car je n’ai qu’une crainte : puer. Quatre jours sans cosmétiques. Je me suis habitué à mon odeur. Mais les autres, non. À trois heures de la représentation, pris de panique à l’idée d’être expulsé de la salle par des voisins incommodés, je relave mes vêtements au bicarbonate citronné et frotte mes aisselles avec le gant de crin. Le soir venu, mon polo encore humide sur le dos, je fonce au spectacle.

On ne m’a pas expulsé. On ne m’a même pas reniflé. Ce soir là, j’ai goûté chaque émotion comme un soiffard goûte un vin. M’en priver quelques jours a nettoyé mon cerveau de la prolifération d’images, de l’assuétude à la violence. Je suis puceau du cerveau. Je m’émerveille comme un gosse. De cette nuit, je garde un souvenir frais, précis, impérissable. Comme si je venais de sortir de prison… sauf que ma prison n’est pas cette maisonnette où je rentre dormir, mais ma vie d’avant.

Le lendemain, je démarre la rédaction de ce billet, en me disant que je crois vraiment faire le bon choix en m’engageant dans une démarche minimaliste. Un mode de vie où je décide de prendre le meilleur de la modernité (je n’ai pas envie de renoncer à mon Frigidaire), et de retrouver le meilleur du passé. Un monde où je lis le journal minimal sur mon Fairphone 3, tout en mangeant un pain complet au levain fabriqué avec les produits, les gestes et les outils des années 1900.

Pour suivre les publications de mon journal préféré, je reçois la lettre minimale, chaque 1er jeudi du mois. Bonne nouvelle, c’est gratuit et sans engagement !

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