Le Danemark est parait-il l’un des pays où l’on vit le plus heureux. Je suis allée rencontrer, à Copenhague, ceux qui ont étudié les ressorts de ce bonheur « à la danoise ».
Les recherches sur la dernière décennie sont unanimes : le Danemark est, avec l’Islande, la Suisse et la Norvège, l’un des pays où l’on vit le plus heureux au monde. Du moins, l’un des pays où l’on s’estimerait le plus heureux. C’est ce qu’établissent invariablement le rapport mondial sur le bonheur des Nations Unies, les statistiques de qualité de vie de l’OCDE, l’enquête sociale européenne et diverses études universitaires.
Concrètement, il ne s’agit pas d’un bonheur tel qu’une euphorie momentanée, mais bien d’un jugement global, d’une prise de recul des individus sur leur existence. Les spécialistes parlent de « bien-être subjectif ».
Quelle est donc la recette miracle du bonheur danois ? État-Providence efficace, cohésion sociale, langue et valeurs communes, haut degré de liberté et d’égalité, prospérité économique, foisonnement associatif, confiance en l’autre peuvent expliquer ce sentiment manifeste, mais difficilement quantifiable.
TOUT PETIT PAYS
Car au-delà des chiffres et des enquêtes, ce sont encore ses habitants qui en parlent le mieux. Je suis donc allée poser la question de ce fameux « bonheur danois » directement aux Danois. Leurs réponses nous renseignent bien au-delà des frontières de ce petit pays de moins de 6 millions d’habitants.
Premier sondé de cette série de 6 interviews, le philosophe Xavier Landes. Il n’est pas danois mais ce Français, spécialiste du bonheur, a vécu sept ans au Danemark et connait très bien le sujet. Chercheur en philosophie politique et économique à l’Université de Copenhague, membre de l’Institut de Recherche sur le Bonheur de Copenhague, il enseigne aujourd’hui à la Stockholm School of Economics de Riga (Lettonie) sur des questions mêlant bonheur et développement durable.
Quel est le regard de l’étranger sur ce bonheur danois ?
Xavier Landes : quand je vivais au Danemark, je voyais arriver des Français, souvent des étudiants, le regard frais et émerveillé. Ils vivaient presque une quête spirituelle du bonheur. Et beaucoup étaient rapidement déçus. D’abord parce que c’est difficile de s’adapter à l’étranger, il y a la barrière de la langue, mais aussi à cause de la différence entre ce qu’ils imaginaient et la réalité. Les Danois sont polis mais plutôt réservés. Il y a un mur de verre qui peut être difficile à percer. La plupart des amis que les Danois ont, ils les ont depuis le jardin d’enfants. Leur vie sociale est tellement remplie que leur vie est réglée comme du papier à musique. Même moi, j’en suis venu à prendre des rendez-vous pour un café presque un mois et demi à l’avance.
Comment avez-vous pris part à la société danoise ?
J’ai pratiqué le football. Si l’on veut s’intégrer, il faut s’inscrire dans une association ou un club sportif. Au Danemark, 75 % des personnes en recherche d’emploi en trouvent un par leur réseau social. C’est pareil pour les appartements, c’est du bouche-à-oreille.
Alors d’où vient cette réputation de peuple le plus heureux ?
En fait, les Danois ne sont pas les plus heureux quand il s’agit de bonheur hédonique, c’est-à-dire affectif. Ils le sont sur le jugement qu’ils portent sur leur situation. Les Danois sont persuadés d’avoir le meilleur modèle social et politique au monde. C’est plus ou moins le même mécanisme dans les autres pays scandinaves qui partagent ce modèle d’État-providence.
Y a-t-il une répercussion de ce bonheur affirmé sur la société danoise ?
Je pense qu’il y a un phénomène de construction nationale. Les Danois ont deux types de réactions face aux étrangers qui leur disent qu’ils sont la nation la plus heureuse : vous avez ceux qui ne sont pas d’accord, et ceux qui seront renforcés dans leurs convictions. Cette attitude est en résonance avec une politique plus large de l’État danois. Après la publication du premier rapport mondial sur le bonheur, le Danemark a compris que cela pouvait servir d’outil de communication pour attirer des travailleurs étrangers, les touristes et investisseurs.
Si l’image du bonheur à la danoise semble loin de la réalité, que mesurent alors ces enquêtes ?
Le bonheur danois, c’est une mentalité, des pratiques sociales, mais c’est aussi beaucoup de politiques publiques. Certains champs de réflexion peuvent être intéressants pour la France : toute la réflexion sur le bonheur vous amène à vous interroger sur des politiques publiques efficaces. Mais si l’on reste à la surface, où le bonheur ne serait cantonné qu’à un choix individuel, on passe alors à côté de la dimension féconde de l’expérience danoise.
• Retrouvez le prochain épisode de Ils sont cools ces Danois vendredi 27 octobre.