Ils sont cools ces Danois #6: « Être ou paraître heureux, telle est aujourd’hui la question »

Dans ce dernier entretien avec des chercheurs sur le thème du bonheur danois, la sociologue Emilia Van Hauen différencie bonheur réel et bonheur apparent.

Aurore Staiger.
Capitale du Danemark, Copenhague compte 583 000 habitants. Photo: Aurore Staiger.

Dernier entretien de notre série avec la sociologue Emilia Van Hauen. Née d’un père danois et d’une mère espagnole, elle s’intéresse aux conflits que peut vivre l’être humain moderne, lorsqu’il est confronté à un décalage culturel.

Que pensez-vous de cette étiquette de « peuple le plus heureux » ?
Nous sommes connus à l’étranger pour cela, mais à chaque fois que les Danois l’entendent, ils en rient. Ils ne comprennent pas et répondent qu’ils ont la pluie, un fort taux de suicides, de l’alcoolisme. La plupart déclarent ne pas se sentir spécialement heureux. Au quotidien, nous n’exprimons pas une « joie de vivre », le flirt n’est pas courant chez nous. Mais après, les gens ici se sentent en sécurité et respectés. Ils composent des communautés basées sur leurs centres d’intérêt, un peu comme de nouvelles tribus, et cela accentue la confiance et la créativité.

Dans la dernière étude sur le sujet, le Danemark est dépassé par la Suisse et la Norvège, pourquoi selon vous ?
Les gens ici pensent que la liberté et la tolérance sont moins prononcées depuis la crise des caricatures de Mahomet [2005]. Ils font plus attention à ce qu’ils disent. En fait, nous avons été naïfs, car notre culture est très homogène, contrairement à New-York ou Paris. Nous la prenions pour acquise et nous découvrons qu’il faut continuer à la défendre, tout comme la démocratie ou l’égalité.

Nous avons également plus de sans-abris, en partie parce que notre système social a un peu changé. Aussi parce que beaucoup d’étrangers, des réfugiés et des Européens de l’Est, viennent ici et finissent à la rue. Enfin, 40 % de la population au Danemark souffre d’anxiété, de stress ou de dépression. La pression du succès est dure à surmonter, nous vivons dans une époque stressante, et pas seulement au Danemark.

Emilia Van Hauen dans son bureau.
Emilia Van Hauen, sociologue, travaille sur les décalages culturels. Crédit photo: Aurore Staiger.

Le chercheur Meik Wiking parle du côté obscur du bonheur et de l’effet néfaste des réseaux sociaux. Qu’en pensez-vous ?
Je suis entièrement d’accord. Si l’on mesure le degré de satisfaction avant et après une visite sur Facebook, ce niveau sera toujours plus bas après ! J’appelle cela la tyrannie du succès, comme s’il fallait toujours avoir du succès et le rendre public. Mais personne ne connaît cet état en permanence. Cela se traduit par un tsunami d’informations sur la vie des autres, elle semble toujours glamour quoi qu’ils fassent. Je ne vais pas partager sur les réseaux sociaux le fait que je sois toute seule à ne rien faire. Les médias sociaux rendent l’existence moins humaine. Je parlerais plutôt du côté obscur de notre mode de vie, qui fait que lorsque vous vous sentez malheureux, vous pensez être le seul dans cet état.

Le malheur est pourtant un état assez banal…
Oui, et il y a un manque de compréhension dans la société : souffrir n’est plus considéré comme un état normal. Aujourd’hui on pense que lorsque ça arrive, ce n’est pas juste, on a honte, on se demande s’il aurait fallu agir autrement.

Pourtant, connaître cet état vous rend plus humain, vous devenez plus attentifs aux autres. Au lieu de se demander si l’on est heureux, je pense qu’il vaut mieux se soucier de vivre avec sens et présence. Beaucoup croient encore qu’ils doivent vivre une vie qui paraisse bien, plutôt que de se sentir bien.

Lire les précédents épisodes ici.


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Herisson-tirelire par Erwann Terrier

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