Je croyais que le 6e épisode de Totoro, dans lequel je vous annonçais sa mort sous les pneus d’une voiture, serait le dernier de la série. Mais pas du tout ! Lady Totoro a donné naissance à deux petits.
Quand le héros du film meurt, on envoie le générique. Après la disparition de mon cher Totoro, j’ai continué malgré tout à mettre des croquettes dans mon jardin du neuf-trois. Souvent je retrouvais la gamelle pleine au matin. Et si elle était vide, n’était-ce pas plutôt l’un des nombreux chats du quartier qui l’avait boulottée ? Bref, le moral avait baissé pavillon.
Mais, un jour, ma compagne me hèle depuis la cuisine. Elle se tient sur le seuil donnant sur le jardin, un peu en retrait.
— Regarde !
Le long du mur, une grosse boule grise s’est immobilisée. Probablement Lady Totoro. Quel plaisir de la voir ! N’étaient ses piquants, je l’aurais serrée dans mes bras.
Le week-end suivant, tandis que je suis à l’intérieur de la maison, j’entends des cris perçants. Ça vient du dehors, derrière la cuisine. Quelque chose entre le nourrisson qui chouine et le goéland affamé. Bref, rien de ce que l’on trouve normalement près d’un tas de bois.
Voici la scène : deux petits hérissons couinent à fendre l’âme au pied du tas de bois, séparés de leur mère qui se tient dans le jardin mitoyen surélevé d’un demi-mètre par rapport au nôtre, de l’autre côté d’une grille à pointes. Lady Totoro cherche une issue sous la grille, la longe, puis finit par retrouver le passage qu’elle a dû emprunter à l’aller. Deux minutes plus tard, les petits se réfugient contre elle, au bas des bûches, et les cris cessent. Je dépose une gamelle de croquettes et une écuelle d’eau à proximité. Puis je m’éclipse pour ne pas effrayer la petite troupe.
La famille réussira-t-elle à passer l’hiver ?
Les jours suivants, je vois à plusieurs reprises l’un des petits traverser la terrasse ou pointer son museau sous un hortensia. Celui-ci a, semble-t-il, adopté la cache que j’ai aménagée sous le figuier, dans un coin du jardin : trois rondins posés côte à côte, entourés par un muret en briques, avec une dalle par-dessus, elle-même recouverte d’herbe et de feuilles, et bien sûr une ouverture latérale. Deux autres caches plus rudimentaires (une simple dalle en dur appuyée contre le mur d’enceinte et recouvertes de végétaux) sont à disposition des hérissons sans compter le tas de bois, bien sûr.
Surtout, j’ai l’impression de voir les jeunes grossir quasiment à vue d’œil. J’avais peur qu’ils soient trop maigrichons pour passer l’hiver mais, à la mi-novembre, ils ont au moins doublé de volume. Me voilà rassuré. Au printemps, c’est toute une petite famille qui zonera à nouveau dans le quartier.
Sauf que, d’ici là, il faudra passer l’hiver. Lors des réveils épisodiques qui émaillent l’hibernation (en plus de s’agiter un peu le sang, un hérisson tente alors de trouver un chouia de nourriture), la bagnole restera l’ennemi public numéro un, pire que toutes les maladies, que tous les prédateurs.
Un soir, en rentrant du travail, je vois une forme anormale au milieu de la rue, pas loin d’un lampadaire. Une vieille godasse ? Un carton ? Un Totoro frigorifié ? Je monte la rue avec une poussée d’angoisse. Arrivé à une dizaine de mètres, ça ne fait plus aucun doute : il s’agit bien d’un hérisson, et même de l’un des jeunes. Je m’approche. Il ne bouge pas. De toute façon, un hérisson s’immobilise toujours à l’approche d’une menace. Mais celui-ci ne bougera plus jamais. Comme son père trois semaines plus tôt, il est couché sur le côté, avec du sang qui lui sort du ventre et de la gueule.
Depuis, tous les jours, je redoute de découvrir un nouveau cadavre. Parce que, cette fois, cela pourrait vraiment signifier le point de non-retour. Nous en sommes là : deux hérissons écrasés depuis la fin de l’été, et deux survivants, l’un sous le figuier, l’autre peut-être sous le tas de bois. Reste à espérer que d’autres se dissimulent dans le quartier pour que, au printemps prochain, la famille puisse se perpétuer.
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