Épisode 6 : Putain de voiture

Un très grand malheur est arrivé. Mon ami Totoro le hérisson passe nuitamment d’un pavillon à l’autre pour trouver sa pitance. Mais, entre nos jardinets du 93, il y a la rue. Et les voitures.

Une voiture écrase un hérisson
Crédit photo : Pinterest (DR).

J’ouvre le volet de la chambre, au premier étage. Il fait gris, en cette aube de début octobre, sur la Seine-Saint-Denis. Un temps à se mettre à hiberner pour notre Totoro. Justement, le dimanche précédent, j’ai aménagé 3 caches à hérissons sous les framboisiers et sous le figuier, pour que les habitués du jardin passent la saison froide au sec. Et puis, ils ont toujours le tas de bois, derrière la cuisine.

Une fois le volet relevé, la rue se révèle à mon regard. Aussitôt, je comprends qu’il s’est passé quelque chose…

Au fond, on voudrait toujours croire que soi-même et ceux que l’on aime échapperont au sort commun. Qu’il suffit pour cela d’un petit peu d’attention, d’une écuelle de croquettes – le bout de pain de l’Auvergnat que chante Brassens, en somme.

UNE ESPÈCE PROTÉGÉE

Certains – d’incorrigibles pessimistes, sans doute – évoquent une possible disparition du hérisson européen en France dans moins de deux décennies. Écrasé sur toutes les routes (1 à 3 millions de victimes par an, selon des estimations), chassé des campagnes par la monoculture et les produits chimiques, inadapté aux centres-villes et aux forêts : l’espèce a beau être désormais protégée (après avoir été un temps classée nuisible à cause des chasseurs), les hérissons en sont réduits à squatter les zones pavillonnaires, condamnés à slalomer entre les espaces verts traités au Roundup, les granulés d’anti-limace et les pneus des voitures.

Ce matin-là, depuis la fenêtre de l’étage, mon regard se fige au milieu de la rue. Au bord d’un nid de poule plein d’eau marronnasse gît une forme grise. On pourrait croire à un gros morceau de macadam délogé de la chaussée, mais il y a un filet de sang. Une voiture approche. Ne cherche même pas à éviter le cadavre de Totoro. Je ferme les yeux.

La veille encore je l’avais vu, à la nuit tombée, manger ses croquettes dans la gamelle. Mais, dans la chanson de Brassens, les cognes embarquent le pauvre hère, et Totoro s’est bel et bien fait écraser tandis qu’il s’abreuvait à une flaque. L’an passé, un autre hérisson avait subi le même sort au bout de la rue.

LA RAGE DE SE SENTIR IMPUISSANT

En sortant de chez moi pour emmener mon fiston à l’école, je prends quelques photos du carnage. Une maman s’arrête à son tour, regarde le cadavre. « Il venait tous les soirs dans mon jardin », me dit-elle. Cela me console un peu : les hérissons ont des amis dans le quartier, et rien ne dit que celui qui gît devant nous est le même que celui que cette dame voit passer dans son carré d’herbe.

Sur le chemin de l’école, tandis que nous respirons les gaz d’échappement sur le trottoir, mon garçon me serre la main et me demande à propos du hérisson écrasé : « C’était la maman, le papa, ou leur enfant ? » Que voulez-vous répondre à cette question sans vous sentir coupable d’une injustice et d’être infoutu, en tant qu’adulte (responsable, donc), de préserver ce que nous devrions chérir avant tout ?

La mort de Totoro, pour moi, ce matin-là, c’est cette rage de me sentir impuissant à préserver pour mon fiston autre chose qu’une nature factice. Bientôt, nous irons au zoo pour observer un hérisson en cage, au muséum pour compter leurs piquants morts. Il tombe bien bas, en vérité, ce monde que nous ensevelissons chaque jour, et nous nous apercevons à peine que nous nous effondrons avec lui.

→ Vous aussi, signez la pétition Sauvons les hérissons en danger (déjà plus de 100 000 signatures) qui sera remise à Nicolas Hulot.


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À propos de l'auteur
Journaliste au magazine National Geographic France, auteur, j’essaie de débusquer dans ma banlieue de Seine-Saint-Denis quelques atomes d’enfance à la campagne.
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