En première ligne face au Covid-19, les soignants racontent la peur au travail

Sous équipés face à la propagation du virus Covid-19, les soignants racontent la peur au quotidien et la dégradation des conditions de travail.

Les soignants en première ligne dans la guerre sanitaire
En première ligne face au Covid-19, les soignants racontent leurs conditions de travail. Illustration: Corentin Beauchesne.

Médecins, infirmiers, pharmaciens… les soignants se retrouvent en première ligne dans la « guerre sanitaire » au coronavirus. Témoignages.

Mathieu, infirmier, soignant.Mathieu*, infirmier dans un service de médecine générale dans un hôpital du Val-d’Oise.

« ON A PEUR DE SE METTRE EN DANGER »

Comment le virus a-t-il impacté votre quotidien de soignant ?
Avec la saturation des urgences et des autres services désignés pour accueillir les cas de covid, c’est maintenant à nous, les services de médecine générale, de les accueillir. Les cadences de travail sont devenues plus intenses. Toute l’organisation a été bouleversée. On ne peut plus revenir dans la chambre d’un malade juste parce qu’on a oublié quelque chose sans prendre de précautions. On doit utiliser des blouses, des charlottes, des masques. Par contre, la cohésion dans l’équipe a augmenté.

Comment vivez-vous la situation actuelle ?
La situation est anxiogène. J’ai peur de contaminer ma famille mais aussi d’attraper le virus. Un jeune de 20 ans sans antécédents a été admis en réanimation. Avec l’équipe on se pose des questions sur les masques. En Chine, ils utilisent des FFP2. Ici, nous utilisons des masques chirurgicaux et les FFP2 sont réservés à certains types de soins comme l’aspiration bronchique. On a peur de se mettre en danger et on est assez mal informés.

Après il y a quand même un point positif, les gens font beaucoup plus attention à nous. Il y a même un monsieur qui nous a remerciés d’être des héros. Je n’ai pourtant pas l’impression d’être un héros.

Avez-vous une anecdote à partager ?
J’aurais bien aimé conclure sur quelque chose de positif mais ce qui m’a le plus marqué c’est un vieil homme hospitalisé dans le service. Il est suspecté d’avoir le Covid. Les visites de sa famille sont interdites. Il se sent très seul. C’est triste à voir.

* Le prénom a été changé.

 

Youssef, interne en médecine générale, soignant face au Covid-19Youssef, interne en médecine générale, exerce dans différents cabinets de banlieue parisienne.

« NOUS MANQUONS DE PROTECTIONS »

Comment le virus a-t-il impacté votre quotidien de soignant ?
L’impact a été progressif. Au début nous avions peu d’informations et nous pensions que le virus était comme une grippe. Les anciens le comparaient même à la crise H1N1
[pandémie en 2009, N.D.L.R.]. La Chine faisait déjà paraître des études mais nous ne les prenions pas au sérieux. Mais au fur et à mesure, l’inquiétude est montée. Nous avons commencé a adopter des petits gestes comme ouvrir la fenêtre entre deux patients.

Aujourd’hui nous ne voyons voyons plus les patients qui venaient pour des suivis (renouvellement de traitement). Pour eux nous avons principalement recours à la téléconsultation, mais la mise en place est difficile. Si nous avons vraiment besoin de voir un patient, il y a une filière propre, avec des salles d’attentes séparées des cas infectieux. Il faut limiter au maximum les contacts.

L’État ne nous fournit que peu de masques FFP2, les médecins doivent acheter leurs masques eux-mêmes. Heureusement, en tant qu’internes nous bénéficions de la même protection qu’eux. Nous faisons face à une pénurie de masques, de gels hydroalcooliques… Nous prenons également de nouvelles initiatives pour nous protéger comme le port de la blouse. Nous la lavons tous les soirs, alors que d’habitude les médecins de ville n’en portent pas dans les cabinets où je travaille.

Comment vivez-vous la situation actuelle ?
Je m’inquiète pour ma famille. Je n’ai pas vu mes grands parents depuis quatre semaines. Mes parents sont aussi considérés comme des personnes fragiles donc je me contente d’échanger avec eux par téléphone. Je suis jeune et le virus semble peu nous toucher. Je m’inquiète moins pour moi. Avec d’autres internes, nous nous sommes questionnés : si nous avions connu une maladie comme la peste avec un tel manque de protections, nous ne sommes pas certains que nous aurions cotinué de travailler.

Il y a tout de même un point positif. Je pense qu’après le virus, il y aura une meilleure image de la médecine générale. Beaucoup de personnes y compris dans le domaine médical considèrent cette spécialité comme une médecine de seconde zone. Ils ont l’impression qu’on ne voit que des rhumes. Les médecins généralistes ont pourtant un vrai rôle de santé publique.

Avez-vous une anecdote à partager ?
Au début de l’épidémie nous avions peu d’équipements et je travaillais dans le cabinet d’un maître de stage âgé de 70 ans. J’étais seul avec une patiente qui me décrivait ses symptômes : courbatures, mal de gorge… Il est entré au milieu de la consultation pour vérifier que tout se passait bien et dès qu’il a entendu la patiente, il est sorti immédiatement. Les plus âgés s’inquiètent pour leur santé. Ils ont plus de risque d’être contaminés.

À lire aussi : Je n’ai pas attendu le coronavirus pour…

Morgane, étudiante en médecine, soignante face au Covid-19Morgane, étudiante en 5ème année de médecine en stage au service de rhumatologie, volontaire au service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat.

« ON NE SAIT PLUS QUI ÉCOUTER »

Comment le virus a-t-il impacté votre quotidien de soignant ?
Depuis la fin de la semaine dernière, le nombre de patients des services de médecine non urgente a été réduit. C’est le cas de la rhumatologie où j’étais en stage. Le service a ensuite fusionné avec celui de dermatologie.

N’étant plus officiellement affectée au service de rhumatologie, je me suis portée volontaire pour aider dans les services qui cherchaient du renfort face à l’afflux de patients Covid, notamment le service de maladies infectieuses. 40 externes [étudiants qui sont en stage, entre la 4e et la 6 eannée de médecine, N.D.R.] ont été mobilisés sur la base du volontariat pour aider à la fois les internes qui sont débordés et les paramédicaux (infirmières, aides soignantes). Ils sont en nombre insuffisant par rapport aux patients, à la gravité de leur état et à la nécessité de les surveiller de façon plus fréquente que des patients non atteints du coronavirus.

Comment vivez-vous la situation actuelle ?
Je suis mitigée par rapport à tout ce qui circule dans les médias. Le discours varie selon les médecins et certains sont assez alarmistes, d’autres ne savent pas trop. On ne sait plus qui écouter. Je suis aussi frustrée d’être dans ce milieu mais de ne pas vraiment être au courant de ce qui se passe, de ne pas trop savoir quoi répondre aux gens. Je n’ai pas envie de dire des bêtises, pas envie de les faire paniquer pour rien ou de leur dire de se calmer alors qu’il faudrait s’inquiéter.

Évidemment, j’ai toujours peur d’être contaminée, de contaminer mes proches… Je pense que nous sommes bien formés à ce niveau là avec les gestes barrières ou l’importance de s’emmitoufler. On nous a appris à mettre des masques, des charlottes, des blouses. C’est tout de même assez compliqué car les recommandations changent tous les jours. On découvre chaque jour de nouveaux éléments sur le virus. Il y aussi le manque de moyens qui pousse à la débrouille.

Avez-vous une anecdote à partager ?
Les recommandations sont je pense assez strictes pour ne pas nous faire prendre de risques. Mais dans la situation actuelle avec le manque de masques, de sur-blouses, de lunettes, de gants, on se sent en danger en allant voir les patients. J’entends beaucoup d’infirmières dire que si il n’y a plus de masques et de blouses, elle ne viendront plus travailler.

C’est catastrophique que les seules personnes qui puissent aider à faire face n’en aient pas les moyens, qu’elles doivent se mettre au chômage technique. Lors de la dernière réunion, les infirmières ont fait part de leur mal être. Elles ont l’impression que tout le monde meurt. Le chef de service leur a dit qu’elles ne se rendaient pas compte de tous les patients qui étaient sauvés. Pour leur remonter le moral il leur a conseillé de faire un selfie avec les malades qui sortent de l’hôpital.

 

Fabienne, pharmacienne, soignante face au Covid-19Fabienne*, pharmacienne dans le Val-d’Oise.

« DES CLIENTS SE MONTRENT AGRESSIFS »

Comment le virus a-t-il impacté votre quotidien de soignant ?
Dès le lendemain du discours du président Macron, une longue file d’attente s’est formée devant la pharmacie. Nous avons travaillé pendant deux jours non-stop, nous avions l’impression d’être à l’usine.

Les gens avaient peur. Heureusement, on avait anticipé en faisant des stocks d’un mois pour les patients qui ont des traitements lourds et réguliers : anticancéreux, VIH, diabète…

Aujourd’hui encore, nous avons beaucoup de monde à la pharmacie. Il faut les protéger et nous protéger donc nous avons modifié nos équipements. Le premier jour nous ne portions pas de masques pour ne pas renforcer la panique générale mais depuis nous en mettons. Il s’agit de masques périmés utilisés pour la grippe H1N1. Il n’y a pas assez de masques et les recommandations changent tous les jours avec de nouveaux arrêtés.

Comment vivez-vous la situation actuelle ?
Comme tout le monde, j’ai peur d’être contaminée, même si nous prenons des précautions. Et je suis assez énervée par l’égoïsme de certains : des pharmaciens vendent des masques beaucoup plus chers et font une sorte de marché noir. Mais surtout, il y a des patients qui essaient de négocier pour avoir des masques. Ils veulent un traitement de faveur, ce que je refuse de faire.

Avez-vous une anecdote à partager ?
Vendredi dernier un homme voulait absolument nous acheter des masques. J’ai refusé car si on fait une exception pour une personne après cela se sait et tout le monde en veut. Le monsieur est devenu très agressif. Les personnes à l’accueil ont eu peur, ces agressions sont inadmissibles !

* Le prénom a été changé.

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À propos de l'auteur
Étudiante passionnée d’histoire et de philosophie, j’écris aussi des articles.
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Une réponse

  1. Gouverner c’est prévoir, on nous l’a assez dit, alors citons devant un tribunal tous ces braves « cadres »,ces anciens et nouveaux présidents, qui pour la pompe à finance ont tout delocalisé en Asie resultat: plus de materiel, plus de medicaments, plus de responsables, quand on voit ces Hollande, Sarkozy, VGE etc qui ont tout bradé, ils n’ont pas honte, pas du tout grosses bises quand meme.

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