L’affrontement hypocrite entre un gouvernement peu soucieux d’écologie et la révolte des « gilets jaunes » occulte une question centrale, celle de nos modes de déplacement.
Plus de 400 blocages d’automobilistes en colère sont prévues le 17 novembre prochain. Un gilet jaune bien en vue sur le tableau de bord de leur véhicule, ces gros consommateurs de pétrole entendent procéder à des blocages routiers pour protester contre la hausse du prix des carburants qui va faire baisser leur pouvoir d’achat.
Les forces en présence. D’un côté, l’exécutif joue la carte de la « conscience écologique » dans une posture assez peu crédible, et avec une taxe qui pénalise surtout les usagers de la route les plus pauvres.
De l’autre, des propriétaires de véhicules qui pour certains ne s’embarrassent pas de considérations environnementales et réclament le droit de pouvoir continuer à polluer pour le moins cher possible (N.B. pour quelqu’un au SMIC, le prix du carburant est aujourd’hui deux fois moins élevé qu’il y a quarante ans).
Un faux débat. Emmanuel Macron tente d’orienter le débat sur le terrain écologique et sanitaire. « Les mêmes qui râlent sur la hausse du carburant réclament aussi qu’on lutte contre la pollution de l’air parce que leurs enfants souffrent de maladies », argumente-t-il, en soulignant, légèrement menaçant, qu’il « préfère la taxation du carburant à la taxation du travail ».
Pour couper court aux critiques sur le fait que cette mesure affectera davantage les pauvres, le gouvernement évoque une indemnité kilométrique en faveur des personnes dans l’obligation de prendre leur véhicule pour aller travailler, un geste supplémentaire pour le chèque énergie, la baisse du coût du permis de conduire. Mais l’incitation à la mise en commun des transports individuels (covoiturage) demeure inexistante et l’utilisation des transports en commun en substitution de la voiture reste chère d’autant plus qu’elle s’ajoute souvent au coût d’un véhicule en double emploi.
La transition vers des transports impactant moins l’environnement n’est pas non plus suffisamment encouragée. « La question ne se pose pas au niveau d’une taxe, mais sur la façon dont on accompagne les ménages pour qu’ils puissent changer de véhicule et avoir un véhicule moins polluant, et là on ne voit rien », a relevé Christine Revault d’Allonnes, députée PS au parlement européen.
Une occasion d’aborder la question de fond ? Au-delà d’un affrontement stérile où l’on dénonce un recours à l’hyper-fiscalité déguisé en engagement écologique et la défense d’un pouvoir d’achat résumé à un consumérisme individualiste et polluant, il y a peut-être une chance à saisir dans cette crise. La révolte des gilets jaunes n’est-elle pas l’occasion de repenser nos modes de déplacement, notre recours à l’automobile et notre dépendance aux énergies fossiles ?
Notons d’ailleurs que Priscillia Ludosky, l’auteure de la pétition « Pour une baisse des prix du carburant à la pompe » (plus de 800 000 signatures), vient d’assortir celle-ci d’une mise à jour contenant 10 demandes au gouvernement, telles que la généralisation du télétravail, la taxation équivalente des transports aériens, routiers et maritimes, l’arrêt des nouveaux forages pétroliers en Guyane.
Il est effectivement urgent de refonder notre rapport à la mobilité, d’investir dans des transports en commun propres et accessibles, de généraliser le ferroutage, d’encourager fiscalement le cyclisme ou la marche à pied. Les idées ne manquent pas, seule la volonté fait défaut. Pour l’instant…
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6 réponses
Assez d’accord avec vous. Militante écologiste de longue date je ne me retrouve pas dans le mouvement des gilets jaunes quand je discute, que j’essaie du moins, avec ceux qui le soutiennent. On me dit qu’il faut tout bloquer pour dire qu on est pas content… Soit. Pas content, si on met bout à bout toutes les causes de mécontentement qui s’agglutinent dans ce mouvement ça va faire un inventaire à la Prévert, en plus hétéroclite et interminable.
Le vrai problème de fond, celui d’un choix de société, n’est pas abordé. « On a 20 ans pour tout changer » mais selon moi le mouvement des gilets jaunes n’en prend pas le chemin. Et ce qui m’inquiete le plus c’est qu on me conspué parce que je n »en suis pas…
Désolé de vous répondre si tardivement Tanières. Merci de l’intérêt que vous avez porté à l’article.
En effet, les revendications sont tellement hétéroclites qu’en cherchant bien on peut en trouver qui s’opposent. C’est caractéristique d’une démarche populiste.
Je partage également vos inquiétudes quant à l’exclusion ; c’est un peu « ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi », ce qui est assez dommage. Ce mouvement a pour lui la spontanéité et il faut reconnaître qu’il redynamise le débat public, mais sa radicalisation risque de le décrédibiliser et de l’isoler.
Tout est à revoir :
– D’abord le système financier qui permet une économie virtuelle 99 fois plus importante que la réelle (notons que c’est cette réelle qui a été pressurisée pour sauver la virtuelle en 2008 et que pratiquement aucun responsable de ce désastre n’a eu de compte à rendre).
– Nos modes d’agriculture et de nourriture qui influenceraient forcément nos modes de déplacement au quotidien comme ceux de nos comportements d’achats (comment peut-on passer une seule commande à cette sombre m… humaine, sociétale et environnementale qu’est Amazon ?) et de loisirs (voir la calamité du tourisme).
– Surveiller en permanence nos élus et leur demander régulièrement des comptes : quand je constate que pas une seule fois dans les revendications des gilets jaunes (et de leurs soi-disant soutiens politiques et même syndicaux) il n’a été réclamé aux sénateurs de rendre à la société française (aux universités ou à la recherche par exemple) le 1,5 milliard d’euros qu’ils se sont mis de côté en 40ans en plus de leur allocation de fonctionnement, je pleure de notre bêtise, de notre sensiblerie à l’image, de notre mémoire de poisson rouge et surtout de notre absence totale de conscience de l’Ensemble et des autres.
Citations :
Albert Einstein répétait souvent : « Un problème ne peut être résolu avec le même mode de pensée que celui qui l’a créé. »
Chesterton : « Toute pensée qui ne devient parole est une mauvaise pensée, toute parole qui ne devient acte est une mauvaise parole, toute acte qui ne devient fruit est une mauvaise action. »
Bonjour Hishaida et merci de l’intérêt que vous portez à cet article.
Il est très difficile de ne pas être outré par certaines largesses que s’octroient des corps de l’État qui ont pourtant une fonction représentative qui devraient être « désintéressée ». Je vous rejoints aussi pour votre rejet de la grosse machine amazonienne. Nous méritons mieux.
Je suis d’accord et malheureusement j’ai peur que beaucoup de Français ne soient pas prêts à changer leur mode vie. Je suis retraitée, je prends le bus, je n’ai plus de voiture, je ne mange plus de viande ni produit d’origine animale (j’essaie!), j’adhère à Greenpeace et à L214, par contre ma maison n’est pas isolée. Au niveau alimentation il serait temps que l’industrie agroalimentaire fasse une totale transparence au niveau des produits alimentaires. Et même sous l’étiquette bio on nous dit pas toute la vérité. Les poules élevées en « plein air » ne sont pas élevées en plein air mais dans un hangar ouvert sur un terrain sans herbe. Bref on nous ment à tous les niveaux! Seul l’intérêt financier prévaut. Vive le capitalisme!
Bonjour Monique,
merci de vos réflexions et félicitations pour ces belles résolutions qui vous honorent.
Le capitalisme que vous dénoncez, cet ultra-libéralisme qui place le profit au-dessus de tout, engendre bien des dérives. C’est bien le problème du mouvement des gilets jaunes qui, au lieu de s’en prendre au système libéral, préfère exiger une meilleure place en son sein.
Vos actions, Madame, malgré vos craintes et vos frustrations, nous montrent que l’on n’est pas obligé d’avaler toutes le couleuvres mais qu’on peut s’associer aux autres pour rendre le monde plus beau.