Reportage à Mouscron (Wallonie) : une petite association a transformé un lopin de terre en un jardin luxuriant où il suffit de tendre la main pour se nourrir.
Cela fait un moment que je m’intéresse à la permaculture et à l’agriculture biologique, au point d’être obsédée par l’idée de cultiver mon jardin et de pouvoir produire toute ma consommation de nourriture à l’année. Or, c’est exactement ce que font depuis plus de quarante ans Josine et Gilbert Cardon, les fondateurs de l’association Les Fraternités ouvrières. Tous les deux premiers dimanches du mois, ils donnent gratuitement un cours de permaculture chez eux, à Mouscron, une ville wallonne proche de Roubaix et de Tourcoing.
Devant l’adresse indiquée, l’alignement de petites maisons en briques typiques du style flamand ne laisse pas présager qu’un jardin se trouve de l’autre côté. J’ai un peu d’avance, j’en profite pour le visiter. Il est immense, une véritable forêt.
CETTE FORMULE, C’EST LE GRAAL
Le principe est le suivant : les grands arbres forment une canopée qui protège les arbrisseaux qui eux-mêmes protègent de leur ombre les plantes et les fleurs. Tous les un ou deux ans, on élague les arbres afin que la lumière continue à passer tout de même et que la forêt ne prenne pas le pas sur le jardin potager. Car oui, le système de jardin-forêt est une invention humaine qui permet de produire des fruits et légumes en quantité, et le tout presque sans intervention.
Le paradis sur Terre ou le jardin d’Éden peut-être… Enfin, pour moi qui n’y connais encore pas grand chose en agriculture et qui me forme en ce moment grâce à des jardiniers dans la région parisienne, cette formule me semble être le Graal. Mais comment cela fonctionne-t-il au juste ?
DONNER DE LA SUBSTANCE AUX VERS
Le but de la permaculture, comme son nom l’indique, est de faire de la culture permanente, et je dirais même pérenne. Dans cette optique, rien ne se perd, tout se transforme… Donc les restes de nourriture, carton, papier (à condition bien sûr qu’il n’y ait pas d’encres non biodégradables ou de pellicule plastique) peuvent être mis à même le sol pour amender la terre. Amender veut dire « donner de la substance aux vers pour qu’ils la digèrent et en fassent du terreau ». Or, ils raffolent de nos épluchures. On parle aussi beaucoup de la culture en butte en permaculture. Une question est d’ailleurs posée sur le sujet pendant les deux heures de cours. Mais Gilbert Cardon nous informe que la culture en butte n’a de sens que lorsque la zone est marécageuse et la pluviométrie élevée : pour éviter de noyer les cultures, on les surélève en buttes.
Lui est plutôt partisan de tout laisser à même le sol et que les vers fassent leur travail. Même chose pour les déjections humaines. Je demande si ça ne sent pas mauvais de laisser les épluchures à même le sol. Il me répond que non, que l’air aide à la décomposition autant que les vers, et que de toute façon, il faut une à deux semaines en moyenne pour que ce qu’on a mis par terre soit décomposé.
SANS L’AIDE DE L’HOMME
D’ailleurs, au jardin des Fraternités ouvrières, il n’y a pas de gazon contrairement aux jardins environnants qui arborent tous une fière pelouse à la fois chronophage car il faut bien la tondre, et gourmande en eau car il faut bien l’arroser quand il ne pleut pas. Ici, on laisse faire la nature… Mais pour cela, il faut recréer une diversité biologique telle qu’elle le serait dans une forêt normale. En effet, la diversité des espèces favorise la diversité des prédateurs, qui à son tour permet à la nature de faire son travail sans l’aide de l’homme.
Gilbert Cardon nous confie qu’il plante absolument tout dans son jardin. Et que tout y pousse. Sans arroser. En effet, le « mulch », constitué par les déchets de cuisine ou le compost, mais aussi le bois, le carton, les feuilles mortes ou la paille (selon ce qu’on a à disposition), recouvre la terre et lui permet de rester hydratée, la pluie venant apporter suffisamment à cette latitude de toute manière. Hormis les fleurs, très importantes pour la diversité qu’elles apportent, mais aussi pour leurs propriétés mellifères (elles attirent les insectes qui permettent de polliniser les plantes), tout le reste sera comestible.
J’achète pour 3 € à Josine Cardon leur catalogue de semences. Malheureusement, on ne peut pas commander par correspondance.
— D’où venez-vous ? me demande-t-elle.
— De Paris.
Josine me raconte que des Parisiens débarquent chaque weekend à Mouscron. Elle rêverait que nous nous organisions pour créer le même type d’association, avec comme but de former les gens à la permaculture et de commander en commun pour mutualiser les couts. Je lui promets d’y réfléchir. Je repars en tout cas enchantée de ce que j’ai appris. Je n’ai plus qu’à trouver un jardin, l’amender régulièrement avec mes déchets de cuisine et laisser les vers agir. Puis planter aux beaux jours.
Prochaine journée portes ouvertes : dimanche 21 août à Mouscron de 10h à 17h.
Plus d’infos sur le blog de l’association.
Pour une visite en vidéo, ce reportage de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) :