L’homme est à l’origine d’un changement d’ère géologique nommé l’anthropocène. Dans cet essai, un géographe s’interroge : qui est vraiment responsable, l’espèce humaine ou certains êtres humains ?
Le genre
Essai
Le pitch
Ce livre remet en cause le terme désormais incontournable d’anthropocène (une nouvelle époque géologique déclenchée par l’être humain, en rupture nette avec l’holocène des 10 000 dernières années). Pour Andreas Malm, ce n’est pas l’espèce humaine toute entière qui nous a plongés dans cette situation écologique désespérée, mais une toute petite partie de celle-ci. La grave crise que nous vivons ne serait en rien la conséquence des actions d’une nature humaine biologiquement et compulsivement portée vers le progrès technologique, en ligne droite de la découverte du feu, mais la conséquence de la volonté capitaliste de plus en plus féroce des grands industriels.
L’auteur
Enseignant en Écologie humaine à l’université de Lund, en Suède, Andreas Malm écrit régulièrement livres et articles sur les énergies fossiles et le réchauffement climatique.
Mon humble avis
Tantôt enquête policière à la recherche des coupables du meurtre de la planète, tantôt manuel d’économie émaillé de formules mathématiques marxiennes, cet essai un peu ardu est très instructif. La démonstration de l’auteur s’appuie en particulier sur une analyse des causes et des effets de l’abandon de l’énergie hydraulique au profit de la machine à vapeur (alimentée au charbon pourtant plus onéreux) dans l’industrie textile anglaise du 19e siècle. On y voit clairement combien et comment le « progrès » lié à l’extraction des énergies fossiles depuis deux cents ans a finalement été imposé au plus grand nombre par quelques prédateurs.
Une phrase du livre
« Contrairement à l’eau, la vapeur était appréciée parce-qu’elle n’avait pas de lieu propre, pas de loi extérieure à elle-même, pas d’existence résiduelle hors de celle suscitée par ses propriétaires ; elle était absolument, et même ontologiquement, soumise à ceux qui la possédaient. »
Un extrait du livre
« Si l’on s’en tient à l’histoire observable empiriquement, il semble que l’utilisation à grande échelle de combustibles fossiles n’aurait pas pu être engagée par l’espèce dans son ensemble, dans la mesure où elle présupposait que certaines personnes disposent du travail d’autres personnes : c’est la leçon tirée par la classe dirigeante britannique tout au long de son Empire. De fait, les combustibles fossiles sont par définition un condensé de rapports sociaux inégalitaires, puisque aucun humain ne s’est jamais lancé dans leur extraction systématique pour satisfaire des besoins vitaux. Condition insuffisante mais nécessaire et significative de l’économie fossile, le travail salarié ou forcé – contrairement à la maîtrise du feu – n’a pas existé partout et de tout temps ; même l’Empire britannique ne pouvait pas le garantir, comme le montre le destin des mines de Labuan. Pourtant, ce n’est qu’une des nombreuses inégalités qui ont constitué l’économie fossile. Élaborée dans un étroit foyer, la vapeur était conçue explicitement comme une arme pour accroître le pouvoir sur les périphéries, faire venir les produits de tous les continents, expédier les biens manufacturés en retour et garantir tout du long la supériorité militaire, dans une forme de métabolisme impérialiste fossile qui a sous-tendu toute l’évolution de l’Empire à partir de 1825.
L’histoire de la façon dont les riches hommes blancs de Grande-Bretagne (puis de ses empires rivaux) ont pointé la vapeur comme une arme contre la quasi-totalité du genre humain – du Niger au Yangzi Jiang, du Levant à l’Amérique latine – a encore à peine été effleurée, même en Inde. »
L’anthropocène contre l’histoire, le réchauffement climatique à l’ère du capital, Andreas Malm, Éditions La Fabrique, 2017, 248 pages.