En visite dans l’Hexagone, le chef tibétain n’a pas été reçu à l’Élysée. Il a en revanche été accueilli à bras ouverts au Palais du Luxembourg. Le journal minimal y était.
Une grande agitation, puis un grand silence : Sa Sainteté arrive ! Drapé dans son traditionnel pallium pourpre et jaune, le dalaï-lama s’avance lentement sous les ors des salons de la présidence du Sénat. Il fait très chaud à Paris en ce 14 septembre 2016, le maître parait fatigué. Mais son charisme est intact (en témoigne le crépitement des smartphones des députés et sénateurs), ainsi que sa détermination à défendre la cause tibétaine.
Cette rencontre non officielle avec quelques dizaines de parlementaires « arrange tout le monde, confie un administrateur du Sénat, car le dalaï-lama n’est reçu par personne ». Ni François Hollande ni aucun membre du gouvernement n’ont en effet souhaité le voir, afin de ne pas irriter Pékin. Une « lâcheté » dénoncée par le sénateur André Gattolin (EELV) : « Je rappelle que Barack Obama a reçu le 15 juin dernier le dalaï-lama à la Maison Blanche, malgré l’avertissement de la Chine. »
De quoi fut-il question lors de cette rencontre diplomatique subtile ? Voici les principales déclarations et réponses du chef spirituel tibétain aux représentants du peuple français :
Sur le nationalisme :
« Le peuple tibétain persévère dans la voie de la non-violence. Aujourd’hui, comme chacun sait, nous ne revendiquons plus l’indépendance du Tibet. Les nationalismes n’ont plus guère de sens alors que nous sommes si interdépendants les uns des autres sur cette petite planète bleue. C’est pour cela que l’esprit de l’Union européenne est un magnifique début et devrait s’agrandir. Ces formes qui rassemblent différents pays me semblent admirables et nécessaires. Nous appartenons tous à la grande famille humaine. »
Sur la Chine :
« Votre soutien au Tibet est très important. Lorsque vous rencontrez des collègues chinois, faites-leur part de vos opinions, de vos suggestions. L’attitude très répressive à notre égard, depuis soixante ans, n’a pas donné les résultats espérés. Ces personnes aux positions très dures, je me demande s’il ne leur manque pas un petit bout de cerveau qui est celui du bon sens. Si je peux me permettre, le système chinois ressemble à un énorme monstre avec un tout petit cerveau. Certains se demandent maintenant s’ils ne doivent pas changer d’approche. En Chine, la façade est là, mais les choses bougent. Les Chinois à l’étranger, touristes, étudiants, hommes d’affaires, voient ce qu’est le monde libre. »
Sur l’état du plateau tibétain :
« Les travaux d’un climatologue chinois sur les milliers de glaciers tibétains ont montré que leur fonte est aussi importante que celle constatée au pôle Nord et au pôle Sud. Il a appelé le Tibet « le troisième pôle ». Il y a aussi une déforestation qui atteint 40 % et une exploitation minière déraisonnable. Mais la Chine réprime violemment nos manifestations. Je suggère une visite de votre part, avec des écologistes chinois qui vous expliqueront ce qui se passe au Tibet. Les autorités chinoises ne sont pas forcément au courant car elles sont informées par les pouvoirs locaux, qui ne leur disent pas tout. Vous pourriez venir voir de vos propres yeux et faire un rapport qui serait remis aux plus hautes autorités chinoises. Mais ne venez pas en hiver, il fait trop froid (-25°C). En été et en automne, c’est magnifique. »
Sur l’idée d’un statut international du plateau tibétain en tant que 3e pôle afin d’assurer sa préservation, comme pour l’Arctique et l’Antarctique :
« Très très bonne idée ! Toutes les grandes rivières d’Asie (le fleuve Jaune, le Brahmapoutre, le Yang-Tsé, le Mékong…) viennent du Tibet. L’utilisation en amont par la Chine pose des questions pour les autres pays (l’Inde, le Bangladesh…). Les grands projets de barrages peuvent affecter des centaines de millions de personnes. »
Sur la manière de résister à la civilisation chinoise :
« Les personnes les plus extrêmes au parti communiste considèrent que tout ce qui constitue le cœur de la culture tibétaine menace l’unité de la Chine et doit être éradiqué, par tous les moyens. Pour eux, un bon Tibétain doit être un bon Chinois. C’est le danger. Nous travaillons avec des scientifiques pour mettre au point un cursus scolaire qui, du jardin d’enfant à l’université, prendrait en compte les valeurs humaines fondamentales telles que le bien-être. La langue tibétaine est le support de connaissances spécifiques : il existe des traités détaillés sur les émotions, la science de l’esprit. Je suis aussi pour la promotion des valeurs laïques. Donc je suis un disciple de la Révolution française ! »
Sur ces derniers mots très applaudis, le dalaï-lama se lève, passe autour du cou des parlementaires des khatas, ces écharpes de soie blanche tibétaines porte-bonheur et, avant de s’en aller, se prête patiemment à tous les selfies qu’on lui demande.