Des élèves infirmières réquisitionnées pour effectuer leur stage en réanimation Covid-19 dans un hôpital du Val-d’Oise racontent leur quotidien au journal minimal.
Dans le Val-d’Oise, la mortalité a augmenté de 47 % depuis l’épidémie de Covid-19. Sur ordre du préfet du Val-d’Oise, du personnel de santé complémentaire (étudiants, retraités, etc.) a été appelé en renfort pour répondre à l’état d’urgence sanitaire. Quatre élèves infirmières réquisitionnées pour effectuer leur stage de fin d’étude en réanimation dans un hôpital du Val-d’Oise nous racontent comment cela se passe. Elles vont chercher des médicaments, courent au laboratoire… Toute l’organisation de l’hôpital a été chamboulée et certains services ne reçoivent plus que des patients atteints du Covid-19.
N.D.L.R. Sur les quatre élèves infirmières que nous avons interviewées, ne soyez pas étonnés, trois d’entre elles s’appellent Pauline.
Pauline M., 20 ans, stagiaire au sein de l’unité de soins intensifs de cardiologie, transformée en service de réanimation.
« ON EST TOUS DANS LE MÊME BATEAU »
Comment se sont passés vos débuts dans le service ?
Le premier jour je suis arrivée en n’ayant quasiment pas dormi de la nuit, je n’avais jamais fait de stages dans ce milieu et avec le contexte actuel j’étais vraiment effrayée.J’ai été affectée à l’unité de soins intensifs de cardiologie, qui s’est transformée en quelques heures en réanimation covid. Les équipes étaient tout aussi chamboulées que moi. Les médecins cardiologues et les infirmières du service se retrouvaient a être formés par des internes de réanimation.
La mise en place a été difficile pour tout le monde mais nous nous sommes serré les coudes, il y avait beaucoup de bienveillance. J’ai eu le sentiment que nous étions tous dans le même bateau. Personne ne savait comment la situation évoluerait le lendemain. C’était hyper stimulant de voir tout le monde se donner à 100 %.
Pensez-vous être suffisamment formée et équipée pour affronter la « vague » ?
La formation se fait beaucoup sur le terrain grâce à des gens qui viennent aider, partager leurs connaissances. Matériellement, j’ai la « chance » d’être dans un service de première ligne (c’est à dire avec des cas graves), donc nous sommes mieux équipés que dans d’autres services avec des cas covid dans un état moins grave. Je me sens en sécurité grâce aux équipements mis à notre disposition, même si tout est compté, on économise le matériel, chacun fait attention à ne pas gaspiller.Avez-vous une anecdote à partager ?
La semaine dernière un chirurgien est venu spécialement de Paris pour installer un système très particulier de circulation extra corporelle permettant de réoxygéner le sang à la place des poumons qui ne peuvent plus le faire. Nous étions une dizaine de blouses blanches devant la porte à regarder attentivement la mise en place de ce dispositif. Même des infirmiers avec une longue expérience en réanimation n’avaient jamais vu ça.
Pauline P., 22 ans, stagiaire de nuit en réanimation.
« UNE NUIT, EN PASSANT DEVANT UNE CHAMBRE, J’AI VU UN PATIENT BRILLER »
Comment se sont passés vos débuts dans le service ?
C’était assez stressant. Les équipes craignaient d’être responsables de la contamination de leurs proches, de mettre en danger leurs vies. Mais en même temps, nous avions tous envie de répondre à un appel national et d’obéir à notre conscience professionnelle. Nous étions tiraillés.Pensez-vous être suffisamment formée et équipée pour affronter la « vague » ?
Nous n’avons pas été formées sur le coronavirus ou pour affronter une telle situation. Mais à mon avis, c’est normal. On ne connaît pas le virus dans sa totalité. Tellement d’éléments inconnus subsistent.Il manque du matériel pour répondre aux besoins. Nous avons donc recours à des « ruses » techniques qui ne respectent pas tout à fait les règles de bonnes pratiques mais qui ne mettent pas le patient en danger. Par exemple, les tailles des blouses ne sont pas toujours adaptées. Si les manches sont trop larges, elles ne couvrent pas nos avant-bras et nous ne sommes pas bien protégés. On peut donc faire un trou dans le plastique pour faire une sorte de moufle qui cache notre poignet.
J’ai un autre exemple avec les seringues. Les patients reçoivent leurs traitements par IV [voie intraveineuse, N.D.R.], nous utilisons donc une quantité astronomique de seringues transparentes (dites seringues électriques). Pour économiser les stocks on va donc mélanger différents médicaments (comme un antalgique et un sédatif) dans une même seringue. C’est quelque chose que nous ne faisons pas d’habitude.
Avez-vous une anecdote à partager ?
Une nuit, en passant devant une chambre, un élément a attiré mon attention. Je me suis arrêtée. Le patient brillait. J’avais l’impression qu’il était huilé de partout. J’ai donc interrogé un collègue du secteur. Il m’a expliqué que c’était tout à fait normal, le patient avait été vaseliné. On a enduit tout son corps de vaseline pour le retourner.Les patients covid qui ont des difficultés pour s’oxygéner et qui ne présentent pas de réponse suffisamment satisfaisante de la ventilation artificielle sont passés sur le ventre. C’est assez étonnant. Cette position permet de gagner en capacité pulmonaire. En enlevant le poids de la poitrine et du reste du corps qui peuvent comprimer les poumons, la position ventrale permet de libérer de l’espace et aide à respirer.
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Marion S., 20 ans, stagiaire de jour en réanimation.
« ILS TOQUENT À LA FENÊTRE ET ON LEUR APPORTE LE MATÉRIEL »
Comment se sont passés vos débuts dans le service ?
J’ai été très bien accueillie. Toute l’équipe était contente d’avoir du renfort. Un infirmer m’a rapidement fait faire le tour du service. Il m’a montré les choses principales. Pendant les premiers jours, ça a été. J’avais parfois des difficultés à comprendre ce qu’on me demandait car les salles de réanimations nécessitent un matériel très spécifique. Mais, globalement ça s’est très bien passé.Pensez-vous être suffisamment formée et équipée pour affronter la « vague » ?
J’ai de la chance d’être en troisième année. Dans quelques mois, j’aurai fini mes études et je peux donc faire pas mal de liens avec ce que j’ai appris en cours où dans mes précédents stages. C’est vrai que pour des deuxièmes ou des premières années ça peut être plus compliqué.Dans le service de réanimation où je suis, on ne nous force pas à rentrer dans les chambres. On a principalement un rôle de runner [« coursier », N.D.R.]. En gros, comme nous ne sommes pas officiellement diplômées, on n’a pas le rôle d’une infirmière pure. C’est à dire qu’on n’a pas de patient en charge.
On est là pour aider les équipes et en ce moment, elles ont besoin de personnes qui apportent du matériel, tout ce dont elles ont besoin quand elles sont en chambre. En effet, une fois qu’ils sont habillés (casaque, masque, sur-blouse…), les soignants ne peuvent plus sortir de la chambre pour aller chercher une seringue ou un antibiotique. Ils toquent à la fenêtre ou nous mettent des listes de matériel et on leur apporte. On descend au laboratoire. On prépare des bons de commande.
Le but c’est qu’ils ne baladent pas du covid dans tout le service et qu’ils économisent du matériel. Quoi qu’il en soit, les infirmiers ont toujours cinq minutes à nous accorder si on ne comprend pas quelque chose donc c’est formateur.
Avez-vous une anecdote à partager ?
Tous les jours, à midi, il y a des réapprovisionnements de matériels et de médicaments dans les chambres. Les infirmiers nous dictent ce que l’on doit aller chercher à la pharmacie et nous les runners, on y va. Dans le rush, ils oublient souvent de me demander des choses mais je connais tellement par cœur les traitements que j’apporte ce qu’ils oublient. J’anticipe aussi leurs demandes.
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Pauline P., 20 ans, stagiaire au sein de l’unité de soins continus (qui joue le rôle d’un service de réanimation).
« AU DÉBUT, J’AVAIS TRÈS MAL AUX JAMBES »
Comment se sont passés vos débuts dans le service ?
J’étais arrivée en stage le 5 février 2020. Le 6 mars nous avons reçu le premier patient positif au covid et comme je l’ai pris en charge, mes formatrices m’ont mise en quarantaine pendant quatorze jours puis j’ai été rappelée.Quand je suis revenue, tout avait changé. Par exemple, il y avait de nouvelles étagères où étaient disposés des gants, des masques, des tabliers, des sur-blouses et des charlottes. Il y avait aussi des petites bouteilles de gel hydroalcoolique un peu partout. Malgré ma connaissance du service et du personnel, c’était très impressionnant. J’ai vite dû m’habituer à ce nouvel environnement et m’adapter aux nouvelles prises en charge. Les choses ont été très rapides. Les premiers jours ont été exténuants mais on finit par s’adapter.
Je dois servir les infirmiers et les aides-soignants qui ne peuvent pas sortir des chambres car ils devraient se rééquiper à chaque fois. Je fais beaucoup d’allers-retours et je reste souvent debout. Au début, j’avais très mal aux jambes. Le plus souvent, je vais chercher des médicaments en pharmacie ou je vais apporter des bilans sanguins au laboratoire.
Pensez-vous être suffisamment formée et équipée pour affronter la « vague » ?
Malgré le fait que je ne rentre pas dans les chambres, je dois porter un masque par sécurité. Bien sûr, les conditions ne sont pas idéales. Nous avons plus de patients que ce qu’autorise la loi et seulement une infirmière de plus, le travail est donc beaucoup plus conséquent.
Les premiers jours ont été très durs, il fallait organiser le service et oublier tout ce qu’on savait pour réapprendre d’autres choses. C’était déstabilisant pour nous, mais on a passé le cap. Les cadres du service étaient très disponibles et veillaient à ce qu’on ne manque de rien. Les jours suivants, les équipes ont été renforcées donc le travail a pu être dispatché plus justement, c’était plus gérable, mais pas encore assez.
Avez-vous une anecdote à partager ?
Je pourrais raconter les décès, les intubations ou encore les transferts que j’ai vus. Mais l’anecdote qui m’a le plus marquée c’est quand un aide-soignant m’a dit : « Pauline, heureusement que tu es là. Tu aides beaucoup, sans toi on n’y arriverait pas. Merci, merci de faire ça ». Ce n’est peut-être rien mais quand on vient de terminer trois journées de douze heures chacune, tout ce qui compte c’est d’avoir pu être utile, de rentrer chez soi à 20 heures et d’entendre ses voisins applaudir le personnel médical.