Dans ce roman anticapitaliste dont le titre est un smiley qui pleure de rire 🤣, Frédéric Beigbeder étrille France Inter, qui lui a coupé le micro après une chronique humoristique jugée trop minimale.
Le genre
Roman à message.
Le pitch
Viré de France Inter à l’automne 2018 pour avoir improvisé sa chronique matinale au sortir d’une nuit blanche kétaminée, Octave Parango (le double de Frédéric Beigbeder) règle ses comptes avec ses ex-collègues cire-pompes et dénonce le rire conformiste en vogue à la Maison de la radio, alors que grondait dans tout le pays la révolte des gilets jaunes.
L’Homme qui pleure de rire met en lumière le cirque médiatique et clôt ce que Frédéric Beigbeder appelle sa « trilogie anticapitaliste », entamée avec 99 Francs (sur la société de consommation) et poursuivie avec Au secours pardon (sur la marchandisation de la beauté féminine).
L’auteur
Écrivain, critique, scénariste, réalisateur, Frédéric Beigbeder s’est d’abord fait connaître comme organisateur de beuveries parisiennes décadentes lorsque dans les années 1980, avec ses amis du Caca’s Club, il retournait le Palace en passant de la musique classique toute la nuit à une jeunesse dorée déguisée en aristocrates du 18e siècle.
Mon humble avis
J’ai rarement autant ri en lisant un roman.
J’adorais, déjà, le « spa auditif » de Frédéric Beigbeder, sa voix douce d’hypnotiseur posée sur un fond sonore relaxant (de la flûte de pan). Cette parenthèse situationniste était pour moi, et de loin, la meilleure chronique de la matinale de France Inter : à rebours, insolente… comme un gros coup de frein à main dans la course de nos vies, une fenêtre ouverte à la fin de cette tranche radiophonique trépidante mais souvent assez creuse.
APPEL À LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE
J’avais donc été écœurée qu’on vire mon chroniqueur préféré au lendemain d’une de ses meilleures prestations (cf. la vidéo ci-dessous) : n’ayant rien préparé pour cause de nuit d’ivresse, il avait pris le risque de l’instant présent et réussi à force de provocations à faire dérailler l’émission de manière hilarante. Et puis surtout, alors que nous étions en pleine révolte des gilets jaunes, il avait conclu par cette équation d’une grande sagesse, véritable appel à la désobéissance civile : « Si personne n’allait au bureau, il n’y aurait plus ces problèmes de carburant. »
C’est pourquoi, quand j’ai appris que Beigbeder sortait un roman croustillant dans lequel il racontait les dessous de son éviction (et ceux de la matinale de France Inter), je suis allée l’acheter ! Je n’ai pas été déçue de ce point de vue-là. Et j’ai, en outre, été surprise et intéressée par le souci de l’auteur d’inscrire sa mise à l’écart dans une perspective plus vaste : celle du rouleau compresseur capitaliste qui veut que tout le monde s’écrase, sous peine de se faire écraser. Pas de voix discordantes à la radio (Beigbeder se considère comme un « fasciste vert »), ni de gilets fluos au Trocadéro, puisqu’il n’y a pas d’alternative.
Une phrase du livre
« Il est absurde de me reprocher mon autodestruction hebdomadaire alors que l’ensemble de l’humanité bousille son environnement quotidiennement. »
Un extrait du livre
« […] j’aurais pu expliquer aux insurgés comment s’emparer de l’Élysée. Il suffit d’organiser quatre soirées simultanées un dimanche soir dans le quartier. Prévoir un certain investissement pour la location des salles et des déguisements : ni gilets, ni cagoules, ni casques, mais il faut infiltrer 200 black blocs en smoking au bar du Bristol, 100 indignés en veste-cravate au Ran, 300 révoltés en tenue de soirée dans un faux mariage au pavillon Gabriel, et 150 zadistes qui vont assister à une représentation au théâtre Marigny. Tous seront fournis en Captagon par des complices pharmaciens. Une fois ivres et défoncés, les quatre groupes d’activistes n’ont plus qu’à se précipiter à minuit pile vers le château : le groupe du Bristol attaque l’entrée principale du 55 faubourg, le groupe du Ran fonce de la rue d’Anjou vers la rue de l’Élysée, côté faubourg Saint-Honoré, pendant que le groupe de l’avenue Gabriel pénètre simultanément à l’autre extrémité de la même rue. Enfin les révoltés du Marigny n’ont qu’à traverser l’avenue homonyme pour entrer par le jardin en escaladant les grilles. La sécurité de l’Élysée serait impuissante devant une horde de 750 émeutiers foncedés déferlant aux quatre coins du Palais. Il faut garder à l’esprit cette vérité intangible : la police française n’a pas le droit de tuer. La République peut être renversée par la fête en quelques minutes. »
L’Homme qui pleure de rire, Frédéric Beigbeder, Grasset, 2020, 318 pages.
4 réponses
Merci pour cette idée de lecture. Ce court extrait donne envie d’en lire bien plus 😉
De rien Julie, vous m’en direz des nouvelles ?! ?
J’ai adoré ce livre, ovni hilarant, comme 99 francs il y a… vingt ans! Esprit libre et décomplexé, Beigbeder nous dévoile les dessous de la société du spectacle au fil de ses pérégrinations introspectives avec une sincérité féroce et jubilatoire. Meilleur bouquin de l’année 2020. Merci d’en parler si bien…
Chère Laurence, merci !!