Plus de 1 000 kilomètres carrés de terres sauvages artificialisés chaque année en Europe

Le remplacement progressif des espaces naturels par des sols artificialisés détruit le fonctionnement des écosystèmes et ruine la biodiversité. Voici comment.

Un sol articificalisé, vu du ciel
Vu du ciel, un sol artificialisé, ça fait moyennement rêver…

Nous ne les voyons pas, mais un quart des organismes vivants de la planète nichent dans le sol. Bactéries, microflore, microfaune, ils sont presque à la base de toute la vie sur Terre. Par leur action de décomposition de la roche-mère et leurs apports organiques sur cette couche jusqu’alors impropre à la vie, ils permettent en effet la formation du sol. Sans eux, et sans l’action physique des phénomènes climatiques (ruissellement, infiltration d’eau, etc.), aucune culture ne serait possible.

Or, pour construire nos habitations ou nous déplacer, nous recouvrons la surface de la planète de matériaux qui empêchent ces micro-organismes de respirer, et qui anéantissent toute vie en profondeur. Chaque année, en Europe, plus de 1 000 km² de nouvelles terres sont ainsi utilisées et la moitié de cette surface est totalement imperméabilisée.

RECOUVERTS DE BITUME

On dit qu’un sol est « imperméabilisé » (ou minéralisé) lorsqu’il est recouvert d’un matériau imperméable à l’eau et l’air. C’est le cas des routes, des aéroports, des zones urbaines recouverts de bitume. Un sol est dit « artificialisé » quand il est constitué d’une surface qui n’est pas laissée en libre évolution (chemins gravillonnés, pelouses, cultures…). S’il n’est pas nécessairement imperméable, il perd en revanche ses fonctions écologiques ; mais cette atteinte peut être réversible.

Schéma nappe phréatique, Iris Petitjean, sols
À gauche, l’eau s’infiltre dans le sol et permet le maintien d’un réseau hydrique souterrain qui favorise la végétation. À droite, la surface imperméabilisée altère la fonctionnalité du sol en profondeur. Illustration: Iris Petitjean.

Même sans être minéralisé, le sol exploité à des fins humaines perd de ses fonctionnalités biologiques ; par exemple lorsqu’il est imbibé de pesticides qui dévastent sa faune ou tassé jusqu’à détruire sa structure. La structure du sol, en effet, est tout aussi cruciale que sa composition pour son fonctionnement : sans tous les petits pores de sa texture aérée fabriquée au fil des siècles, les micro-organismes n’ont plus d’habitat, et surtout l’infiltration de l’oxygène et de l’eau est impossible.

La formation du sol, un processus très lent
Pour que le sol atteigne un centimètre d’épaisseur, il s’écoule entre cinquante et mille ans de modifications et d’altérations de la roche-mère. Des siècles sont nécessaires pour fabriquer le substrat sur lequel pourront s’enraciner les plantes qui produiront alors notre alimentation et notre oxygène. Il ne faut en revanche que quelques minutes pour anéantir tout ce travail naturel et rendre une surface de sol totalement impropre à la vie.

C’est pourquoi d’année en année le niveau des nappes phréatiques diminue et les inondations deviennent plus fréquentes. Si l’eau ne peut pas s’infiltrer dans le sol, elle ruisselle, charriant souvent sur son passage des résidus toxiques et des déchets. Outre l’impact sur l’hydrologie, les sols anthropisés empêchent également la filtration de certains polluants, que l’action biologique (dans les racines des plantes par exemple) ou mécanique (filtration entre les diverses tailles de particules du sol) aurait permise, et favorisent la répercussion du bruit et concentrent la chaleur.

Sols rendus imperméables : les quais de Paris inondés.
Exemple de conséquence d’un sol ne pouvant plus absorber les fortes pluies. Même si des crues périodiques sont dues à des phénomènes météorologiques naturels, leur ampleur et leur impact pourraient être minimisés si le sol pouvait encore absorber le trop-plein d’eau. Paris, juin 2016. Photo: Iris Petitjean.

L’artificialisation des espaces naturels détruit en outre le fonctionnement des écosystèmes, et c’est l’une des principales causes de la diminution de la biodiversité. Pour lutter contre la disparition des habitats des animaux et l’altération des processus physico-chimiques du sol, plusieurs solutions sont toutefois envisagées : la création de mosaïques paysagères (parcs, jardins de pluie, toits végétalisés…) au sein des villes. Cependant, ces installations modifient la biodiversité en ne laissant que certaines espèces choisies subsister – et celles qui peuvent s’installer dans ces milieux sont souvent envahissantes.

LAISSER-ALLER POLITIQUE

Face à l’ampleur des destructions, la Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation de ses ressources a fixé dès 2011 l’objectif de « supprimer d’ici à 2050 toute augmentation nette de la surface de terres occupées ». Notons cependant l’emploi du terme « augmentation nette » : cela signifie qu’il est possible d’artificialiser une certaine surface à la condition de réhabiliter une superficie équivalente ailleurs. Il est donc possible de recouvrir 10 km² de bitume étouffant le sol, si l’on délaisse l’utilisation de loisirs de 10 km² de pelouse par exemple… Un objectif finalement assez peu contraignant…

Sources et autres lectures :
Rapport de l’INRA de 2017 sur l’artificialisation des sols.
• Patricia Touyre. Le monde secret du sol. 114 pages. Éd. Delachaux et Niestlé. 2001.
• Sur The Conversation (27/08/2018) : Nicolas Hulot voulait « zéro artificialisation nette des sols ».

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À propos de l'auteur
Écologue de formation, je concilie mes deux passions, les insectes et la typographie, en écrivant en pattes de mouche.
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