Enfiler le gilet jaune ou pas ? C’est la grande question du moment. Elle divise la France, les amis, les familles… Le témoignage de l’artiste Marjolaine Sirieix.
Un coup de fil de mon père.
Il m’appelle rarement, je vois bien qu’il est sincèrement inquiet, il veut savoir si je ne me suis pas radicalisée, si je ne suis pas « dans les gilets jaunes », il me dit que j’ai deux gosses et que ce n’est pas le moment de déconner…
Je lui réponds que je suis, comme d’hab’, dans l’artisanat, dans le karaté, dans les philosophies orientales… et dans le « salafisme écolo » – concept provocateur qui me parait légitime au vu de l’univers concentrationnaire des élevages et abattoirs industriels, au vu des écocides perpétrés partout dans le monde (1).
Je ne crois pas que ma réponse le satisfasse spécialement, mais du moment que je ne suis pas un gilet jaune, ça va… Il me dit que la France est une patrie de révolutions, qu’on ne change que sur ce mode, il me cite des dates : 1789, 1871… Je lui parle de Hervé Kempf [journaliste, fondateur du site d’information Reporterre, N.D.L.R.] et de son livre sur les oligarchies… Je lui parle du philosophe Dominique Bourg, pour qui les États actuels ne sont pas tout à fait des démocraties mais des sortes de dictatures invisibles, des « démocratures »…
PHOSPHORESCENCE
Alors, qui déconne vraiment à la fin ? Claude Levi-Strauss parlait de somnambulisme pour décrire le manque de réactivité émotionnelle et intellectuelle de nos sociétés face à la destruction de la Nature.
En fait, j’ai du mal à me sentir jaune depuis le jour où j’ai vu des gilets jaunes danser au milieu de l’autoroute sur du Patrick Sébastien, en mode grégaire tout-le-monde-s’éclate-à-la-queuleuleu… Enfiler le gilet jaune est une étape peut-être nécessaire mais temporaire, le symbole d’une France en chantier, une contre-esthétique (voir à ce sujet l’article d’Emmanuelle Veil dans Le journal minimal), mais aussi un fantasme d’union que je trouve cacophonique et pas toujours pertinent, même s’il rend visible, jusqu’à la phosphorescence. Il y a des nuances et une éducation globale à faire, et ça se passe tous les jours à l’intérieur de chacun.
Concrètement les loyers ont explosé en quinze ans, le TGV est devenu un transport de luxe (la propriété c’est le vol, comme disait Proudhon, maintenant le transport aussi) et la révolte populaire déclenchée par une énième hausse n’est clairement pas une lubie.
DU BAUME AU CŒUR
Pour finir je réponds à mon père que je prépare un événement ce week-end, que j’ai du travail… Et cela le rassure que je sois occupée à autre chose – la tête dans le guidon, le court-termisme, c’est souvent le problème quand on vit au jour le jour comme moi.
Je ne me sens pas spécialement jaune, parfois gilet jaune c’est jaune gilet, je trouve certains jaunistes sur la toile démagogues… Je cherche juste, chaque jour, une continuité, une forme de cohérence, d’humanisme et d’honnêteté, en acte. Oui, dorénavant je veille aux actes plus qu’aux paroles des uns et des autres, au geste juste, à la constance.
Je raccroche pour filer à la sortie de l’école : les mamans organisent une coopérative, nous avons fait des gâteaux afin de récolter des fonds pour que les enfants puissent aller en sortie scolaire, ça n’est pas grande chose, je me demande même ce que je fais là… mais cela met du baume au cœur, les réactions devant la table couverte de gâteaux, c’est notre raison d’être là et notre rayon de soleil, un jour pluvieux d’automne.
SUPPLÉMENT D’ÂME
Depuis que j’ai rencontré toutes ces mamans d’ici et d’ailleurs, celles des foyers (réfugiées politiques ou climatiques), celles qui se battent pour s’intégrer… mon cœur a changé. Alors que je me pose plein de question sur l’avenir et quoi faire dans ce contexte, une phrase revient toujours : « Va vers les autres », autrement dit, joue-la comme Ruffin. La bienveillance est mon seul devoir, la prospérité c’est ensemble, la richesse c’est le partage, il n’y a rien d’autre à la fin, on n’emporte rien.
La vie est infiniment compliquée mais l’aborder simplement, par la porte du cœur, pourrait permettre une prospérité insoupçonnée, indomptable, à mettre en place facilement au plus bas de l’échelle ; le haut du panier pourrait aussi bien nous envier l’élan du cœur qu’il n’a pas… Il suffirait d’inverser les carrés VIP, qu’une joie populaire prenne la place, que nous devenions un exemple citoyen pour nos États malades, que nous nous tenions prêts à reconquérir une forme de noblesse, un supplément d’âme pour ceux qui n’en n’ont pas. Il suffirait de retrouver notre union, nos dignités, de boycotter les systèmes délétères, de créer une chaine locale d’entraide.
Comme le dit l’activiste vert Julien Bayou : « Chaque fois que des citoyennes et des citoyens s’organisent et décident de reprendre leurs affaires en main, c’est une bonne nouvelle. »
La bonne nouvelle c’est nous.
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Une réponse
Bravo ! tête bien faite, pieds sur terre et le coeur à l’endroit.
Une femme/une fille , quoi. Evident. Mère, en plus.
En (des femmes) avoir plus en politique, en gestion d’entreprise, en ingénierie scientifique, à l’armée, etc corrigerait probablement le retard génétique accumulé par la société française. Et en avoir moins en Justice et en Education nationale serait meilleur pour les fans de chahut. Les mauvais esprits diront que cela n’empêcherait pas les dames Pénicaud & Cie… Mais les forteresses imprenables, ce sont l’Eglise catholique, l’Eglise orthodoxe, l’Islam et presque… tous les autres mouvements religieux qui font partie des divers patrimoines génétiques. C’est fondamental : contrairement aux hommes, les femmes ne veulent pas coloniser les esprits. Elles veulent vivre, vivre mieux et s’efforcent d’y arriver. A quand une thèse sur les rapports entre climat, alimentation, commerce, agriculture, guerres, religions, relations familiales et testostérone.
Le secret de la paix, c’est l’équilibre. On arrive à l’équilibre par le mélange. Et pour se mélanger, il faut partager. Il en faudra encore du temps (des siècles…) pour que ça rentre…
14 déc 2018 – simple retraité, 69 ans.