Super maman #12 : Claquer la porte, quelle mère n’y a jamais songé ?

La charge est parfois trop lourde. Super maman va-t-elle péter les plombs ? L’autre jour, elle a claqué la porte au nez de ses trois petits bouts de chou.

Claquer la porte
Claquer la porte, quelle mère n’y a jamais songé? Illustration: Marion Narbonnet.

lettrine, d apostropheabord il y eut des nausées. Rassurez-moi ma bonne dame, pas de quatrième en vue ? Non non, Super maman tangue juste comme ce monde en vrac. Tout se détraque. Ça donne le tournis, ça laboure l’estomac, ça fait tourner la tête. Y’en a qui diront que je suis trop sensible, qu’il ne faut pas se rendre malade pour une élection présidentielle, un rapport du GIEC, le contenu de l’assiette à la cantine, une guerre sale, une menace nucléaire, la violence ordinaire, verbale, éducative, d’État. On ne peut pas se sentir coupable de tout voyons.

Comment dire ? Si, en fait. Moi je vous dis, être citoyenne, femme et mère, c’est se mettre la corde au cou. C’est se sentir coupable à temps plein, certains jours dès le réveil (mais pourquoi il n’a pas sonné celui-là ?). C’est se dire 100 fois par minute que oups on a peut-être fichu en l’air l’avenir des enfants ou que le petit caïd de la maternelle a sapé à vie leur estime de soi. C’est vouloir les protéger de tout, du passé, du présent, de demain, mais ne pas pouvoir. Ça arrache le cœur. D’ailleurs regardez-le, il bat dans ma main, sanglant, dégoulinant de larmes dorées. Oui je suis dramatique. Mais comment ne pas l’être quand tout fout le camp.

LA CULPABILITÉ

Chez Super maman, la culpabilité était là bien avant la maternité. Il suffit de lire les poèmes écrits à 10 ans. Ou de survoler les thèmes de ses reportages. Dans sa tête ça fait bien longtemps que ça balance en permanence. Depuis la naissance des enfants, c’est carrément tempête sous un crâne. Au fond c’est cela le drame des mères, en tout cas de celles de mon espèce : avoir perdu, en donnant la vie, de l’insouciance et de la liberté de mouvement. Ce ne sont pas les enfants eux-mêmes qui empêchent d’aller. C’est qu’on se sent si responsables de leur survie, que la nôtre passe à la trappe.

Il paraît que ça passe, que c’est un moment. Qu’après les petits monstres se fabriquent des ailes et s’envolent loin loin. Faux, dirait Super mamie. Ça dure toute la vie.

Ces dernières semaines j’entends partout et de toutes les bouches qui me veulent du bien le même refrain. Prends du temps pour toi. Pose-toi. Souffle. Pense à ta pomme. Dé-cul-pa-bi-lise. On me rappelle la consigne de base en cas d’accident d’avion : le masque à oxygène sur ton nez en premier, sinon tout le monde trépasse. Le message est clair : une Super maman n’est pas fonctionnelle en apnée, carrément inutile évanouie. Mais comment ? Par quoi commencer ?

CLAQUER LA PORTE

Thérapie corporelle, tirage de tarot, initiation à la bibliothérapie, plongée dans la psychogénéalogie, éviction du gluten, etc. Je saute à pieds joints, et poings liés, dans la recherche du mieux-être. Ça marche, un temps. Petit Tourbillon fait la grève de la nounou, hurle à longueur de journée parce qu’il est content-fâché-déçu-euphorique-crevé ? Pas graaaave. Bébé Bolita ne peut plus s’endormir seule et a déjà compris comment ôter les bouchons de feutres pour les gober. No streeeessss. Petite Hirondelle ne veut pas lâcher sa sucette, dit non absolument à tout. Zeeeeen.

Résultat : un matin, Super maman finit par claquer la porte d’entrée en menaçant de se faire la malle. Les enfants hurlent et pleurent, et la terreur dans leurs yeux réveille en moi de douloureuses pensées. Je trouverai un autre moyen. Je ne leur infligerai pas cette sensation de perte imminente et cette angoisse de l’attente du retour.

Mordre un oreiller jusqu’au sang (avec de l’imagination ça saigne un coussin), dévorer des bonbons chimiques (mais achetés en vrac) en cachette, fumer des clopes comme une ado (waaaaouh la terre tourne sans culpabilité). Je commence à – vraiment – choisir mes armes et mes combats. J’imite Super papa et son flegme qui pourtant m’exaspère. J’adopte les boules Quiès en journée. La pression descend. Ça fait du bien de se rendre, d’accepter la défaite.

UNE CAPE D’INVISIBILITÉ

Illuminations. Je comprends qu’on n’abandonne pas nos enfants, qu’on laisse juste le temps aux choses de se tasser. Leurs dents seront peut-être un peu moins droites, on dormira peut-être moins bien (ce qui ne changera pas grand-chose), on jouera sans doute beaucoup plus. Il y aura tout de même des moments hystériques mais surtout des câlins mémorables et des souvenirs gravés dans la chair.

Et parfois, maintenant, j’essaye de ne plus exister, de devenir transparente, je fais l’homme, enfin la femme, invisible. Je ferme les yeux et je répète très fort dans ma tête, comme un mantra : Je suis invisible, je suis invisible, je suis invisible. « Mamaaaaan ? Mamaaan ? Arrête et réponds, je te vois même si tu es transparente ». Visiblement, ça ne fonctionne pas. Je vais devoir m’entraîner car oui je veux survivre aux vacances d’été.

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À propos de l'auteur
Journaliste globe-trotteuse, j’aime rire et raconter des histoires vraies. Je crois que dans la vie l’important c’est de regarder autour de soi.
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