L’écornage des bovins facilite l’élevage. Mais les cornes sont des organes sensoriels et les retirer pose de nombreux problèmes. Une enquête de Pierre Nachin, pour le journal minimal.
écornage s’est intensifié à tel point qu’il est devenu rare, voire exceptionnel de croiser des vaches qui portent encore leurs beaux ornements. Parfois, on en oublierait même que nos Marguerite et nos Blanchette en possèdent.
Depuis quand l’écornage des vaches est-il devenu systématique ?
Cette pratique s’est répandue dans les années 1970, avec l’augmentation de la taille des cheptels et l’évolution des techniques d’élevages. Autrefois, quand l’éleveur avait 20 vaches, il les connaissait toutes, il savait se méfier de celle au mauvais caractère, dans sa petite étable de stalles. Aujourd’hui, avec les élevages en stabulations libres, l’écornage est devenu systématique.
D’après le ministère de l’Agriculture, ces pratiques concernent environ 61 % des élevages de vaches allaitantes et 87 % des élevages de vaches laitières. Les bovins ne sont pas les seuls concernés par l’écornage, les chèvres et les moutons le sont aussi, mais ici nous décrirons cette pratique dans l’élevage bovin en particulier.
Pour quelles raisons écorne-t-on les vaches ?
- Pour éviter les blessures entre vaches : la stabulation libre est un enclos où les vaches (laitières particulièrement) ont leurs stalles mais peuvent circuler. Elle offre davantage de liberté aux bêtes mais pose ce problème de coups de corne (souvent involontaires) entre elles. La « stab-libre » est le mode d’élevage dans lequel les animaux sont presque tous (plus au moins 97 % selon l’Idele) écornés. Pourtant, lorsque cet espace est suffisamment large et adapté, les accidents sont limités et on peut préserver l’intégrité de l’animal.
- Pour entasser un maximum de vaches lors des transports, notamment vers l’abattoir, tout en évitant qu’elles se blessent mutuellement, ce qui entrainerait un risque de dépréciation de la viande et du cuir.
- En cas d’une déformation de la corne qui présente un inconfort pour l’animal, ou pour pouvoir gérer un animal impétueux.
- Pour la sécurité des éleveurs et des intervenants. Il s’agit certainement de l’argument principal pour justifier cette pratique. La MSA (Mutualité Sociale Agricole) dénombre une centaine d’accidents par an. Sur les forum dédiés, nombreux sont les éleveurs qui partagent l’histoire d’un « accident de corne » sur un proche ou un animal. Ces accidents sont souvent l’argument justifiant la suppression des cornes du troupeau.
- Pour permettre le passage dans des cornadis mal adaptés ou trop étroits. Le cornadis (prononcez le « s » ou pas, selon votre convenance) est l’appareillage qui enserre la tête des vaches, comme une barrière placée devant l’auge (photo ci-dessous). Cela permet de bloquer les vaches devant l’aliment pendant les repas, pour que chacune ait sa ration. Il facilite aussi les soins et les opérations tel que l’écornage justement. Notons que plus les cornadis sont étroits, plus on met de vaches au mètre linéaire !
Comment se pratique l’écornage ?
Plusieurs techniques existent, que ce soit pour l’ébourgeonnage (sur les jeunes) ou pour l’écornage (sur les adultes), distinguons-les :
L’ébourgeonnage se pratique avant que la corne ne soit formée, sur le « bourgeon cornual » des veaux âgés de dix jours à quatre semaines. Passé ce délai il est déconseillé. Dans le cadre de la loi, l’animal doit alors recevoir un analgésique lors de ces interventions. Pourtant, une étude de 2009 a révélé que seuls 8 % des éleveurs interrogés en faisaient usage.
- L’ébourgeonnage thermique consiste en une cautérisation qui se réalise en appliquant un fer d’une température supérieure à 650 °C pendant sept à dix secondes sur le bourgeon de corne.
- L’ébourgeonnage chimique. On applique une pâte caustique sur le bourgeon, une escarre s’y forme et tombe après quelques semaines. Cette technique n’est pas plus « soft ». Tant pour les bêtes que pour l’éleveur, de nombreux cas de brûlures sont recensés. Ajoutons que le résultat n’est pas toujours fiable.
- L’ébourgeonnage électrique semble être une technique plus marginale. Les fabricants prétendent que c’est sans douleur, mais cela reste à prouver.
L’écornage, lui, se réalise sur les animaux adultes. Voici quelques appareils utilisés:
- L’écorneuse hydraulique : c’est un outil semblable à une guillotine. L’opération est rapide. Il semble que cela soit la méthode d’écornage préférée par les éleveurs.
- La disqueuse, scie-corne : c’est une disqueuse dédiée à l’écornage, munie d’un « passe corne » pour guider la coupe.
- La scie à fil : rustique, peut-être désuète, mais tout autant efficace, et parfaite pour certaines opérations.
Biologie de la corne
La corne est un membre pratique et un organe sensoriel de la vache ! Dans la jeunesse du veau ce n’est qu’un bourgeon posé à fleur de cuir. À l’âge de deux mois environ, le bourgeon en grandissant, se soude au crâne et intègre à sa base le sinus frontal. Fascinante dame Nature ! Voici, pêle-mêle, quelques observations : grâce à leurs cornes les vaches s’orientent et se reconnaissent. Elles établissent leur hiérarchie au sein du troupeau. Les bovins ressentent les sons internes (mastication, rumination, digestion), via la cavité sinusale qui s’étend à la base des cornes. Le sinus frontal agit comme un amplificateur de sons et de vibrations. Elle se servent de leurs cornes pour se gratter le dos et les flans, elles se servent de la corne d’une voisine pour se curer les yeux.
La corne est un outil de diagnostic pour l’éleveur. Sa forme, sa coloration, parfois son odeur sont autant d’indicateurs sur la santé de sa vache. La tête d’une vache qui a subi un écornage se déforme : le sommet du crâne, les cavités sinusales et l’espacement des yeux sont modifiés. Le port de la tête lui aussi est différent (plus bas).
Voir/revoir notre clip vidéo sur des vaches en train de paître dans un pré.
Les vaches acères (qui, du fait d’une anomalie, naissent sans cornes) sont sélectionnées génétiquement. Est-ce la solution ? Pensons aux travers d’une sélection faite via quelques individus, à l’appauvrissement des gènes qui en découle, à l’intégrité simple et évidente des animaux, à la sauvegarde de la vache « au naturel ».
L’écornage est douloureux. Ce n’est pas juste “un gros ongle” que l’on coupe trop court. Des études démontrent clairement que la douleur et le stress durent plusieurs heures après l’opération (avec ou sans analgésiques).
Sachant qu’aucun éleveur n’écorne ses animaux par plaisir, ces mutilations sont-elles bien nécessaires ? La polémique ne date pas d’hier mais aujourd’hui la pratique n’est pas plus que ça remise en question par les principaux intéressés. Le pragmatisme l’emporte sur le respect de l’animal, la rentabilité l’emporte sur l’intégrité de la bête. Dans cette ambiance de plus en plus technique et mécanique qui prédomine désormais dans l’élevage, on ne peut donc qu’être admiratif des éleveurs qui vont à contre courant et continuent de préserver l’intégrité (les cornes) de leurs vaches.
6 réponses
Bonjour,
J’avoue que d’apprendre que la corne est un organe sensoriel de la vache interpelle. A moins de considérer les poings du boxeur comme un organe sensoriel ! Signé : un ancien vacher.
Bonjour, il est vrai que parler d’organe sensoriel peut paraitre abusif. Pourtant les animaux à cornes ressentent bien des choses a ce niveau de leur anatomie. Des choses qui nous dépassent certainement parce que nous même somme dépourvus de ces attributs (voir la brochure du FiBL en source).
J’ai bien compris ou vous vouliez en venir. Cela dit, les poings du boxeur sont des organes. Les mains comme les cornes n’ont pas qu’un seul usage.
Merci pour votre commentaire et votre avis professionnel.
Du coup j’en profite pour vous glisser cette question : -Quand vous étiez vacher pratiquiez vous l’écornage?
Bonjour,
Dans ma famille, nous n’avons jamais pratiqué l’écornage, car mon père et son père considéraient que c’était leur enlever leur dignité.
Bien à vous.
« Une vache ça a des cornes! Voilà tout! »
C’est la réponse d’un ancien éleveur à qui j’ai posé la même question qu’à vous.
Pour cet homme, inutile d’en débattre d’avantage.
C’est décevant de constater comme ces notions de dignité et d’intégrité des bêtes d’élevages ne sont plus la norme aujourd’hui. Alors que les questions du bien-être animal sont plus que jamais dans l’air du temps.
Merci pour ce retour monsieur Gatineau.
Bonjour, je découvre le journal minimal et j’aime beaucoup les quelques articles que j’ai lu. J’apporte un petit témoignage non-professionnel.
En Beaufortain voilà encore 15 ans, les troupeaux (Tarines et Abondance) avec cornes étaient la majorité. Or il y avait souvent 60 bêtes l’hiver et autour d’une centaine l’été. Les 6 mois d’hiver en effet, chacune à sa place (pas de stabulation libre). Je n’ai jamais à l’époque entendu parler de blessure par corne aux éleveurs. Entre les vaches, je ne me souviens pas.
L’écornage était mal considéré par les éleveurs de ma connaissance. Ils pensaient que c’était réservé aux bovins enfermés toute l’année (dans les grandes plaines naturellement, pas en montagne) – une pratique de l’élevage qu’ils considéraient comme « industrielle », abusive, contraire à leurs valeurs.
Je serais curieuse de poser la question aujourd’hui aux plus jeunes, car la pratique a évolué. Ecornage plus fréquent. Je ne sais pas dans quelle proportion.
Bonjour Mireille et merci pour votre témoignage.
En suisse, les magnifiques vaches d’Hérens sont un parfait exemple. Les éleveurs n’imaginent pas supprimer les cornes de leurs bêtes, ils organisent même des joutes quand elles retournent au prés. Ces vaches ne se blessent pas entre elles, les coups de cornes sont toujours front contre front…. elles sont « sport ».
Pour les jeunes agriculteurs en devenir, aujourd’hui encore dans les CFAA il semble que la tendance est à la technique (l’industrialisation) avant tout autres considérations. La mécanisations des locaux, le rendement, le génie génétique et autres joyeusetés passent bien avant les questions d’ordre éthique, de dignité ou de confort de l’animal. On peut quand même penser que ces jeunes n’ont pas choisi leur métier sans aucunes considérations ni passion pour l’animal.
Peut être que la prise de conscience se fera dans le débat public?