Le monde de la glisse contre un projet de surf park au Pays basque

Un projet de surf park non loin des plages de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) crée la polémique. Les surfeurs dénoncent l’absurdité des vagues artificielles et redoutent un désastre écologique.

surf park wavegarden
Maquette d’un projet de surf park, document ©Wavegarden 2020.

lettrineun kilomètre et demi des plages de Saint-Jean-de-Luz et de « Lafitenia », une vague adorée des surfeurs, il existe un petit bois sauvage où l’on entraperçoit parfois des paons et des biches, surmonté d’une colline où paissent des ânes. On y rencontre souvent, au moment de la pause déjeuner, des salariés du siège social de Boardriders (multinationale du surf, à qui appartient notamment la marque Quiksilver), dont les bureaux sont juste à côté. Mais comment a pu naître dans leur tête cette idée folle de bousiller tout cela pour y installer un surf park à 50 millions d’euros avec centre commercial de 1 500 m2, restaurants, hôtels, le tout autour d’une méga piscine à vagues ?

INGÉNIEURS AUX DENTS LONGUES

Bah, les affaires habituelles. La société Boardriders, dont l’actionnaire majoritaire est américain (Oaktree Capital), se trouve dans une situation financière difficile malgré trois plans sociaux et la vente de son siège luzien dont elle est maintenant locataire. Le groupe insinue gentiment que ses 600 emplois seraient en danger si la mairie de Saint-Jean-de-Luz lui refusait l’exploitation de ces 4 hectares d’ex-terres agricoles communales, indispensables au projet qui fait 7 hectares en tout. Le maire, chef d’une entreprise spécialisée dans les moteurs diesels, aime bien Boardriders. On peut même dire que c’est son entreprise chouchou ! Ah, et il y a aussi Wavegarden, une boite pleine de jeunes ingénieurs aux dents longues, spécialiste de la technologie des vagues artificielles, installée tout près, au Pays basque sud (Espagne).

Au début, tout semblait passer crème. Saint-Jean-de-Luz allait se positionner leader dans l’économie de la glisse (en réalisant son rêve, la nique à Biarritz), des emplois seraient créés, encore plus de touristes viendraient, quand patatras ! On ne sait pourquoi, le projet, avant même de sortir officiellement prend déjà l’eau de toutes parts.

PAYSANS ET SURFEURS RÉUNIS

D’abord les principales associations écologiques locales (CADE, BIZI, Rame pour ta planète) se positionnent contre, et argumentent pied à pied. Puis le groupe d’opposition municipale Herri Berri (classé à gauche) crie au désastre écologique et lance une pétition qui en trois mois, récolte près de 48 000 signatures (Saint-Jean ne compte que 14 000 habitants), ce qui commence à peser. L’ONG européenne Surfrider Foundation Europe étudie un dossier « coastal defender » et pourrait mettre ses gros moyens juridiques, médiatiques et scientifiques en branle. Et enfin Herri Berri, pour enfoncer le clou, présente un contre-projet en permaculture, écologique et social, bien loin de la vague à 50 euros de l’heure.

Lors d’une première réunion bien bouillonnante d’information publique cette semaine à Guéthary (le village à coté du terrain), il y avait beaucoup de surfeurs. Mais aussi des paysans, revendiquant une partie des terres anciennement agricoles. Ainsi que de simples riverains regroupés en association, qui ont déjà pris un avocat.

rame pour ta planete
Les citoyens se mobilisent.

Soudain, on dirait qu’une vague de 10 mètres de haut s’abat violemment sur la tête d’un maire qui voulait juste bien faire. Au fond ce surf park, tel un génie sorti de sa lampe, demande à chacun de choisir le monde qu’il désire : l’ancienne économie ou la nouvelle réalité ? Le béton ou le ver de terre ?  Des arbres centenaires ou un complexe aspirateur à surfeurs ? « Je ne veux pas que l’on me reproche de ne pas tout faire pour l’emploi à Saint-Jean-de-Luz » plaide sur France 3 le maire Jean-François Irigoyen, qui n’imagine pas, c’est bien ça le drame, que c’est plutôt le bétonnage et la minéralisation du centre ville qu’il risque de léguer.

« Il faut bien que les surfeurs s’entraînent pour les jeux olympiques ! » avance un salarié de Wavegarden qui veut rester anonyme. « Mais non, les séries [épreuves préliminaires, N.D.L.R.] sont gagnées, au contraire, sur une intuition de l’océan », rétorque François Verdet, un des fondateur de Rame pour ta planète, l’association de surfeurs en pointe pour la lutte contre ce projet.

DÉGÂTS IRRÉVERSIBLES

Lors de la réunion, Léa Brassy, free surfeuse très suivie sur Instagram, a lu un plaidoyer émouvant pour le surf naturel. Elle commente : « Une piscine à vagues va à l’encontre de la richesse de notre sport. Le projet ne bénéficie qu’à des investisseurs ! » La signature de ce plaidoyer sera proposée à toutes les grandes figures européennes du surf dans les semaines à venir.

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« Les surfeurs ont évolué au sujet des surf parks », analyse Gibus de Soultrait, membre de Rame pour ta planète, et figure bien connue du surf en France. « Au début, dans les années 2 000, ils trouvaient cela excitant. Mais petit à petit ils se sont ennuyés de ces vagues répétitives et ont surtout réalisé les dégâts irréversibles de ces complexes. Non seulement sur le réchauffement mais aussi sur la biodiversité. Ici, franchement, 80 % des surfeurs sont contre ce projet. »

Boardriders traîne à présenter officiellement son projet. Crainte de l’impact négatif sur la marque Quiksilver ? Manque d’investisseurs ? Sans se soucier de ce retard, les associations sont sur le pied de guerre et s’organisent pour un mois d’octobre très actif de lutte contre ce nouveau 2P2I (petit projet inutile et imposé).

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À propos de l'auteur
Journaliste free-lance, j’habite le Sud Ouest de la France et j’écris sur l’écologie.
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