La « cosmopolitique », de Diogène à nos jours

Inexorablement, la globalisation transforme chacun d’entre nous en « citoyen du monde ». Le premier à envisager cette notion fut le philosophe grec Diogène.

Jacob Jordaens
Diogène à la recherche d’un honnête homme, par Jacob Jordaens (1642)

Qu’est-ce que la cosmopolitique ? Eh oui, fidèles lecteurs, depuis le temps que vous suivez assidument cette chronique, ne vous êtes-vous jamais posé cette question ?

L’idée de cosmopolitique est vieille comme le monde, et malheureusement, un peu moquée aujourd’hui. Il ne faudrait pas confondre la cosmopolitique et le cosmopolitisme dont le sens premier a quelque peu été dévoyé. On aurait tort de l’assimiler à l’internationalisme, à l’universalisme, au multiculturalisme…

La cosmopolitique est apparue avec le philosophe grec antique Diogène de Sinope, qui en appelle à la conscience d’appartenir à l’humanité et non à une patrie fermée. Le mot provient du grec cosmo (monde) et de politea (citoyenneté). D’où la célèbre déclaration de Diogène : « Je suis un citoyen du monde ». Chez les stoïciens, le monde est la seule vraie cité. Il s’agit de s’engager dans sa propre cité tout en tenant compte de son appartenance à la cité universelle.

LE CONTACT EST INÉVITABLE

Mais c’est la pensée chrétienne qui va définitivement assoir l’idée cosmopolitique sous la bannière de son dogme. Saint Paul (Éphésiens 2, 19) déclare : « Vous êtes des concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu ».  L’Église universelle est cet ordre supérieur qui « transcende » la notion d’appartenance.

Le cosmopolitisme est par la suite au cœur de la philosophie des Lumières, dans le débat (l’un des nombreux) entre Voltaire, qui prône un dépassement des patriotismes, et Rousseau qui s’exclame : « Plus je contemple cet État, plus je sens qu’il est beau d’avoir une patrie ». C’est une – si ce n’est la – fracture entre les deux hommes. Fracture que l’on retrouve encore dans nos débats politiques actuels.

Dans la tradition des Lumières, Kant (1) théorise le droit cosmopolite comme horizon pour « la paix perpétuelle » : « La raison moralement pratique énonce en nous son veto irrévocable : il ne doit pas y avoir de guerre. » C’est le fédéralisme des nations, le droit cosmopolite qui sont nécessaires. Le monde est clos, les voies de communication s’étendent au 19e siècle, le contact est inévitable.

Même s’il est très critique de la pensée kantienne, Marx, dans L’Idéologie allemande (écrit en 1845-1846) le dit clairement : « Le prolétariat ne peut donc exister qu’à l’échelle de l’histoire universelle ». Dans Le Manifeste communiste de 1848 : « Les ouvriers n’ont pas de patrie ». La lutte des classes invite à transcender les frontières.

EXTENSION DE L’ÉCHELLE DES PROBLÉMATIQUES

Hannah Arendt, dans Vies politiques (1986) y voit, quant à elle, une « solidarité négative », à savoir une réponse universelle et commune aux différentes crises mondiales (telles que les guerres mondiales). Cette idée est aussi développée par Ulrich Beck dans La Société du risque (1986) : « La production sociale de richesse est inhérente à une production sociale de risque » : nucléaire, extraction de charbon, de pétrole, de diamants…

Habermas voit, lui aussi, que l’échelle des crises et des problématiques s’est étendue : une mondialisation des risques qui fait converger les intérêts (économiques, militaires, nucléaires…) communs. Nous sommes dans une « communauté involontaire de risques partagés » (in La paix perpétuelle : le bicentenaire d’une idée kantienne, 1996).

Réponse économique aux enjeux, réponse aux crises planétaires, la pensée cosmopolitique est donc loin d’être utopique. Elle demeure cet horizon qu’il ne faut pas perdre de vue : « Penser global, agir local ».

(1) Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique est un bref essai philosophique d’Emmanuel Kant publié en 1784.

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À propos de l'auteur
Journaliste à l’Alter JT, comédien, vidéaste, touche-à-tout… Je m’intéresse particulièrement aux sujets écologiques et sociaux et à l’art contemporain.
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