La cassandrafreude, c’est un terme en vogue qui désigne le plaisir amer d’avoir prédit la crise climatique. Nous relayons le texte magnifique de la journaliste Sylvie Barrans.
royez moi les amis, comme vous, je suis entourée de gens sensibles et informés. Qui pourtant pour la plupart vivent exactement la même vie qu’il y a vingt ans, plus ou moins. Là, il n’est pas question de condamner, mais de comprendre. Il paraît que c’est dû à la « dissonance cognitive », un blocage dans le cerveau face aux vérités dérangeantes. On parle bien de sauver la planète avec un petit sourire gêné (sans comprendre que la planète se sauvera de toute façon).
Aujourd’hui il faut crier sur tous les toits que ce sont les humains, les gens, nous même, qu’il s’agit de sauver.
Non, je ne ressens aucune cassandrafreude (1). Plutôt un immense accablement, car comme toutes les personnes qui s’intéressent un peu à l’écologie, j’ai compris qu’il est trop tard. Ne vous fiez pas au ton mesuré des grands spécialistes devant les médias. Ils ont envie de hurler, mais se retiennent. Jonglent avec les chiffres du GIEC : « + 2 °C », « + 4 °C ». Tout en sachant parfaitement qu’il est maintenant impossible de freiner la hausse des températures. La prochaine fois que vous voyez l’un d’entre eux, regardez bien ses yeux. Vides, désespérés. Leurs paroles s’effacent devant ce regard. Parce que la vérité est la suivante : si votre température corporelle monte de plus de quatre degrés, vous mourez. C’est pareil pour notre espérance de vie sur la Terre. Si la température monte de plus quatre degrés, on est finis. Kaputt. Terminés.
Alors que faire ? Je rejoins l’optimisme désespéré des environnementalistes. Agir. Aujourd’hui. Avancer sur nos deux jambes vers un espoir infime de nous sortir de là. La jambe droite sera celle de notre vie de tous les jours qui doit changer radicalement. La jambe gauche sera celle de notre implication à 100 % dans le partage, dans l’action associative, politique, bref avec les autres. Les deux sont magiquement liés. Le vent se lève, et dans le monde qui vient, seuls ceux qui savent donner et recevoir s’en sortiront. Le contraire du bunker survivaliste.
Ce que j’ai appris c’est que l’écologie c’est du temps. La hâte est polluante. Vivre lentement est une clé. « Ralentissons, nous sommes pressés » disait mon père. Sois comme une danseuse, un danseur sur ses pointes, que ton empreinte sur cette planète soit la plus légère et gracieuse possible. Avec de merveilleuses récompenses. Supprimer le sèche linge m’a permis de parler avec les oiseaux en étendant les draps, qui en séchant s’imprègnent d’un enivrant parfum d’océan Atlantique.
Maintenant que ta vie quotidienne va dans le bon sens, que tu as changé de banque pour éviter les spéculations toxiques, ne cède rien, et cherche à partager tes valeurs, tout en rencontrant des gens inspirants. Il y en a tellement ! Le maire de Bayonne a tapé du poing sur la table et imposé Pausa, un relais où les migrants peuvent reprendre des forces. Lassés de voir la FNSEA faire sa loi à la chambre d’agriculture à Pau, les basques ont créé EHLG, une chambre d’agriculture alternative qui aide au plus près de leurs besoins les toutes petites fermes du Pays basque. Le Petit Théâtre de Pain, basé à Louhossoa (Pyrénées Atlantiques), joue dans toute la France un théâtre authentique avec une troupe à la Molière où chacun porte sa voix. Partout, dans ton boulot, dans ton sport, au marché, sur la plage, à la chorale : inspirer, et s’inspirer.
Le covid est passé et a laissé beaucoup de misère, ce n’est pas le moment de lâcher l’écologie, au contraire. Donner de son temps, de ses compétences, régulièrement ou ponctuellement. Une AMAP va aider à la sauvegarde des terres agricoles. Une gratuiterie bouleverse puissamment les rapports à l’argent : tu en as besoin, prends. Tu en as en trop, donne. Une monnaie locale comme l’Eusko rééquilibre le commerce local, encourage les échanges courts à peu d’impact polluants. Arrêtons de voter en dépit du bon sens. Les écolos ont raison depuis plus de cinquante ans, laissons leur une chance. Exigeons la démocratie participative, ringardisons les petits chefs. Intégrons les comités de ci, de ça, les clubs, les conseils, les fédés, et chaque fois passons au tamis de l’écologie aussi bien leur philosophie générale que le choix de la matière des verres pour l’apéro. Inscris toi à ATTAC, cela fait vingt-deux ans qu’ils nous préviennent, ils ont eu le temps de peaufiner leurs solutions.
Ce ne sont que des pistes. De petits cailloux. Chacun en trouvera des milliers d’autres et d’aussi beaux. « N’oublie pas le cœur », me recommande un ami. Bien sûr, pourquoi faire tout ça, si ce n’est par amour ?
C’est une loi universelle, quand suffisamment de cercles vertueux se créent un peu partout dans le monde, le basculement est inévitable, à un moment donné. Inévitables aussi les résistances, dont la violence sera proportionnelle à la montée en puissance de l’écologie dans les âmes. Les « Khmers Verts », le « retour à la bougie » et « l’écologie c’est comme les pastèques, vert dehors et rouge dedans » vont revenir. Les mêmes refrains que dans les années 2000, ils ont peu d’imagination ceux qui n’ont pas compris.
Mais il ne faudrait pas trop tarder. Cette année, j’ai eu vraiment peur de ne pas voir le retour des hirondelles. C’est bête.
> Le texte intégral de Sylvie Barrans est à retrouver dans le livre Le masque et les plumes, Éditions Elea Bizi, 2021.