Les associations se démènent pour secourir les usagers de drogues sans abri, dont les conditions de vie sont encore plus dures qu’en temps « normal ».
Verbalisés par la police, rabroués par les riverains, obligés de se cacher, désargentés, confrontés à des produits de moins bonne qualité (et aux risques qui vont avec), les usagers de drogue figurent parmi les populations lourdement impactées par l’épidémie. « La crise actuelle agit en révélateur des manquements de notre société vis-à-vis de ses membres les plus vulnérables et met en lumière les limites d’un système basé sur la prohibition et la répression » écrivait il y a quelques jours dans Libération un collectif d’associations inquiètes pour ces autres « grands oubliés » de l’épidémie.
« Je passe mes journées à remplir des attestations de sortie, mais il n’y a pas la case ‘aller chercher sa dose’ », plaisante Sylvie, coordinatrice d’un centre d’hébergement d’urgence à Mulhouse (Haut-Rhin). Sur la cinquantaine de personnes hébergées dans ce centre de l’Armée du Salut, une dizaine consomme des produits illicites. « Du coup, je coche ‘achats de première nécessité’, parce que pour eux c’est vraiment ça. »
IMPOSSIBLE DE FAIRE LA MANCHE
Sur le terrain, partout en France, les associations font des pieds et des mains pour mettre à l’abri cette population à la santé chancelante. Mais tous les consommateurs de drogues en situation de précarité ne sont pas hébergés, (très très) loin s’en faut.
Confinés dehors, « ils se font verbaliser par la police alors qu’ils vivent dans la rue, c’est complètement surréaliste », observe Charlotte, infirmière dans un centre d’accueil des usagers de drogues, le Caarud–Asud (1), à Marseille. Certains sont hébergés via le Samu Social, mais il n’y a clairement pas assez de places et beaucoup sont dehors. Ils ne peuvent plus faire la manche et n’ont donc plus de revenus ni de quoi manger. Même si ce n’est pas notre mission première et que nous n’avons pas le budget, on se débrouille pour faire des courses et les apporter à ceux qui sont confinés à l’hôtel ».
« PAS DES ÊTRES HUMAINS »
Face à cette épidémie et à ses effets sur les plus démunis, les associations se coordonnent et tentent de mutualiser leurs forces pour loger le plus de gens possible. À Paris, Gaïa, qui gère notamment la Salle de consommation à moindre risque de la Gare du Nord et Aurore (structure d’aide à l’insertion des précaires et exclus) travaillent ensemble pour mettre des gens à l’hôtel, avec le soutien de la DRIHL (Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement), car cela coûte cher.
« Nous avons explosé notre budget hébergement annuel en trois semaines », constate David, assistant social chez Gaïa. « Certains établissements en ont profité pour augmenter leurs tarifs, un directeur d’hôtel avec lequel nous n’avions pas l’habitude de travailler m’a appelé en me disant « mais ce n’est pas des êtres humains que vous m’avez envoyés ! » et il a fallu vider les lieux. A l’inverse, un hôtelier a logé 30 personnes d’un coup, un autre m’appelle à chaque fois qu’une place se libère ». Au total, Gaïa a pu mettre une soixantaine de personnes à l’abri. Des éducateurs et infirmiers leur rendent visite pour prendre des nouvelles et passer des messages de prévention sur le Covid-19.
HORAIRES RACCOURCIS
Dans l’impossibilité de « travailler » (à savoir faire la manche ou voler) pour financer leurs consommations, confrontés à eux-mêmes dans la solitude d’une chambre d’hôtel, certains entament un traitement de substitution. « Nous avons inscrit 60 personnes sur notre programme méthadone en dix jours, précise Elisabeth Avril, médecin addictologue et directrice de Gaïa. C’est très compliqué en ce moment car beaucoup de Csapa [Centres de soins et d’accompagnement et prévention en addictologie, N.D.R.] sont fermés ou ne prennent pas de nouveaux patients ».
Le bus méthadone de Gaïa effectue toujours ses tournées, mais avec l’instauration des gestes barrières, sa file active est passée de 140 à 70 personnes par jour. La « salle de shoot » a dû elle aussi réduire la voilure avec des horaires raccourcis, la diminution du nombre de postes d’injection et la fermeture de la salle d’inhalation de crack.
Même avec un rayon d’action réduit les associations restent en lien avec les usagers de drogues les plus précaires. Paradoxalement, alors qu’ils ne sont pas particulièrement en bonne santé (leur taux de prévalence du VIH et de l’hépatite C sont largement supérieurs à ceux du reste de la population, par exemple), les cas d’infection au coronavirus demeurent rares. « Parmi les personnes que nous suivons, une seule a été testée et confirmée positive et elle est pour l’instant à la rue, témoigne Élisabeth Avril. Les usagers de drogue restent souvent entre eux et ne fréquentent pas d’autres gens, ce qui peut expliquer qu’ils soient très peu infectés, mais ça va commencer à arriver ». Constitueront-ils un foyer infectieux du Covid-19 ? L’avenir le dira.
(2) Les Csapa (Centres de soins et d’accompagnement et prévention en addictologie) comme Gaïa prennent notamment en charge les traitements de substitution aux opiacés.
2 réponses
Bonjour et merci pour cet article fidèle à la situation ! Juste une remarque : je ne suis pas certain que le vol soit une composante importante du « travail » des usager.e.s. En revanche, la prostitution l’est et elle est évidemment très impactée par le confinement.
Bonjour Eric.
Merci pour votre judicieuse remarque ! Il m’aurait fallu en effet ne pas oublier la prostitution qui peut, pour certain.e.s, constituer une source de revenus non négligeable. Quant au vol, même s’il serait bien sûr idiot de généraliser, il peut lui aussi permettre de financer des consommations, une chambre d’hôtel, un repas…
Bien à vous.
Sophie