Quand je parle autour de moi du revenu universel, les gens m’opposent toujours deux points : « Plus personne ne va donc aller travailler », et « Comment tu finances » ?
Comment vivre et survivre dans nos sociétés en voie de robotisation, où l’accès au travail devient de plus en plus difficile ? Face à la raréfaction de l’emploi, il faut trouver un moyen d’assurer un revenu à chaque citoyen pour qu’il puisse à toutes les périodes de sa vie satisfaire ses besoins primaires et ceux de sa famille : c’est le revenu universel (ou encore, revenu d’existence ou revenu de base).
En quoi cela consiste-t-il ? Il s’agit d’attribuer un revenu inconditionnel à chaque citoyen, qu’il travaille ou pas, et ce, pendant toute sa vie. Selon les experts, cela pourrait être un revenu par exemple de 300 € pour les enfants (disponible partiellement ou pas pour les parents) et de 600 à 800 € pour les adultes.
Quels seraient les bienfaits d’un tel système ?
Sa mise en place s’accompagnerait à priori de la disparition de toutes les aides sociales gérées par l’État et les collectivités locales (RSA, allocations familiales…). Cette disparition mettrait fin au cout abyssal de gestion des allocations, au contrôle laborieux des fraudes, et à de nombreuses inégalités dans l’octroi de ces aides (face à la complexité des démarches administratives, une très grande partie des personnes éligibles au RSA ne le réclament pas). Par ailleurs, il en résulterait également le sentiment d’une plus grande justice sociale : le smicard qui se lève tôt pour travailler arrêterait de se croire spolié par le bénéficiaire du RSA puisque tout le monde percevrait le revenu d’existence.
Plusieurs tentatives de mise en place du revenu universel ont eu lieu (voir à ce sujet l’excellent article de notre confrère Bastamag). Aux USA sous forme réduite pour une expérimentation scientifique dans les années 70, en Alaska depuis les années 80 (sur la base d’un revenu pétrolier) mais également en Namibie dans un secteur géographique et un temps limité. De toutes ces expérimentations, il est ressorti un dynamisme plus grand du secteur économique. La nature de la relation au travail a changé mais il n’y a pas vraiment eu de désincitation au travail. Car contrairement aux aides actuelles de type RSA, avec le revenu d’existence, il n’y a pas d’effet de seuil (ce frein à la reprise d’activité que constitue la peur de perdre les aides).
Plus personne ne va aller travailler ?
Non, le revenu d’existence ne conduit pas tout le monde à rester chez soi à attendre comme un assisté. Au contraire, les initiatives associatives et personnelles sont permises, les énergies libérées. Il est en effet beaucoup plus facile de créer sa propre activité si la survie de la famille est assurée. À cette époque où les jeunes doivent parfois débuter leur carrière en passant par la case auto-entrepreneur, à l’ère de la précarisation des métiers, le revenu universel doit apporter du temps aux gens pour créer et s’épanouir dans une activité.
Pour que l’ensemble fonctionne, le montant du revenu universel doit être suffisamment élevé mais pas non plus trop, pour que l’intérêt au travail soit préservé. À tout moment de la vie, on pourrait se contenter du revenu universel, par exemple pour faire des études plus longues mais aussi parce qu’on a décidé de réorienter sa carrière et qu’on souhaite se former. Nous pouvons également faire confiance à notre société de consommation pour que l’envie d’en avoir plus, de voyager, de posséder une maison pousse chacun aussi à s’investir dans le travail.
Quelles sont les différentes possibilités de financement d’un tel revenu ?
Le Mouvement français pour un revenu de base a recensé plusieurs pistes. Une partie d’entre elles reposent sur le partage plus équitable du patrimoine de notre pays et des ressources qu’il génère. Autre piste : utiliser la création monétaire au profit des citoyens plutôt qu’au profit des banques et des marchés financiers.
- La création monétaire, c'est quoi ?
- Aujourd’hui, la création monétaire se fait par le biais du crédit. Cela peut paraître complexe mais je vous explique : la banque qui prête ne sort pas physiquement l’argent qu’elle prête, elle crée de la monnaie. Lorsque l’emprunt est remboursé, la monnaie est « détruite » et la banque enrichie des intérêts (la monnaie créée). Ce mécanisme n’est pas juste socialement. On pourrait imaginer que la création de la monnaie soit faite par la distribution d’un revenu universel. La banque centrale créerait de la monnaie en la versant directement aux citoyens ; les banques, elles, ne pourraient que prêter l’argent qu’elles ont sans en « créer ». Si on affectait en Europe la création monétaire à un revenu universel, cela représenterait environ 150 € par mois par Européen. Il faudrait-il bien sûr obtenir l’accord des 28 pays pour mettre en place un tel dispositif…
De leur côté, les libéraux (tels Dominique de Villepin et Christine Boutin qui militent pour le revenu universel) proposent un financement par une sorte d’impôt négatif sur le revenu. En deçà d’un certain seuil de pauvreté, l’État redistribuerait une allocation. Inconvénients : non seulement cela ne respecterait pas le critère inconditionnel, mais cela inciterait à la fraude et au travail non déclaré.
On le voit, beaucoup de propositions sont sur la table. De plus, une bonne partie de la solution est déjà en place : les bourses étudiantes, le RSA, les allocations familiales, les aides au logement (APL) ou encore les subventions à l’embauche… En ajoutant l’assurance chômage et les retraites, on arriverait à plus de 600 € par mois (300 € pour les enfants). Il serait toutefois sans doute injuste pour les personnes ayant cotisé toute une vie de se voir substituer le montant prévu de leur retraite par un revenu d’existence.
Il reste encore une multitude de solutions envisageables : augmentation de la CSG, instauration d’une TVA sociale nettement plus élevée que celle que nous connaissons en éliminant également toutes les charges qui pèsent sur les entreprises, taxation des flux financiers, redistribution d’une taxe carbone qu’il faudra bien mettre en place…
La combinaison de diverses méthodes permet d’entrevoir le financement d’un revenu universel. Il est donc temps que les élites se saisissent d’un tel concept qui permettrait d’éradiquer la grande pauvreté et d’avancer vers un nouveau monde dans lequel on pourrait choisir de travailler pour s’enrichir mais pas pour survivre. Aujourd’hui, la Finlande s’apprête à mettre en place un revenu d’existence, qui fait également partie du programme de Podemos en Espagne. Le 5 juin 2016, les Suisses sont appelés à voter pour ou contre une telle réforme. À quand au moins un débat chez nous sur cette question ?
Sources :
Association pour l’Introduction d’un Revenu d’Existence (Aire), Mouvement Français pour un Revenu de Base (MRFB)
A lire aussi :
L’entrepreneur qui a lancé l’initiative pour un revenu de base inconditionnel (par Céline Zünd, Le Temps, mars 2016)
Imaginer un revenu garanti pour tous (par Mona Chollet, Le Monde diplomatique, mai 2013)
5 réponses
Je vais toucher 16€/jour d’allocation spécifique de fin de droit (environ 500€/mois en moyenne) + 270€ d’allocation logement à laquelle j’ai droit depuis ce mois ci car je n’ai aucun travail (au lieu de 33€), je ne vais rien dépenser si je reste bien tranquille chez moi, je vais donc avoir 770€.
Si je trouve un job de 20h/semaine au Smic il me ferait gagner environ 750€, j’ai 200€ de frais d’essence pour y aller, je vais toucher 33€ d’allocation logement comme auparavant. Il me restera 580€.
Total de l’opération: 770 – 580 = 190€ de plus en restant au chômage.
Je touche déjà un revenu de base, certes il est déguisé et nécessite de faire des dossiers à n’en plus finir ce qui est une perte de temps considérable et qui nous détruit moralement pour aller rechercher un job; ce qui ne nous incite pas à reprendre le travail et pour cause, je perd de l’argent en allant travailler.
Vous avez tout à fait raison!
Le système actuel rend difficile l’accès à l’aide (dossiers complexes à monter) et ne favorise pas la reprise du travail.
Le concept du Revenu universel attribue un revenu – toujours le même – et de manière inconditionnelle! Que vous ayez trouvé un petit job, un CDI ou autre vous continuez à percevoir le Revenu universel en plus de vos revenus du travail.
Ce n’est pas un revenu d’existence.
C’est une aumône de soumission permanente.
Je vous invite à essayer, même à 900€/mois, de vous loger, de vous nourrir, de vous soigner, d’aller chez le dentiste et le gynéco.
En payant des fringues à vos gosses, bien sûr, et en payant vos déplacements pour aller chercher du boulot.
Réfléchissez un peu avant de pondre un tel article. Ah! la disparition de toutes les aides sociales, quel bonheur! Bienvenue dans la jungle, et espérez pouvoir rester du bon côté!
Dommage, j’aimais bien votre site… et vous avez pensé aussi à la disparition de toutes les « optimisations fiscales » et à une vraie chasse aux « Panaméens »? c’est plutôt par là, à mon avis, qu’il faudrait commencer, avant de s’en prendre aux plus fragiles.
Bigzen, 900€/mois c’est déjà mieux que 500€ de RSA, non ? Et surtout que, comme le dit Olivier Guermouh, les plus pauvres n’ont même pas droit aux aides sociales car les papiers sont trop compliqués à remplir. Et de toute façon c’est un revenu de base, inconditionnel, auquel on ajoute ce que l’on veut. Et ce revenu pourrait justement être en grande partie financé par l’argent récupéré dans les paradis fiscaux et actuellement confisqué par les riches, les banques et autres cabinets de conseil panaméens sans scrupules.
900€ de revenu de Base + 300€ pour un enfant + éventuellement un revenu de complément (un temps partiel ou tout autre revenu) ça commence à faire un revenu qui permet de sortir de la grande pauvreté même si, on en convient, ça n’est pas l’équivalent d’un bon salaire. Dans ce système il faut bien comprendre que vous n’avez « que » le revenu de base dans les périodes non travaillées. Dans les périodes durant lesquelles vous avez une activité rémunératrice vous conservez également le revenu universel.
A condition que le montant soit suffisant, je pense que c’est une mesure qui permettrait aux plus démunis d’entre nous de mieux s’en sortir.