Sur l’autoroute A4

Le plasticien Aurélien Vret prend souvent des photos la nuit. Parfois, il en fait des peintures. Grâce aux coordonnées GPS et autres données numériques, une carte du monde se dessine.

Image : Aurélien Vret
Carte tirée du projet Nuit synthétique, utilisant Google Maps. Coordonnées GPS du lieu : 48°49’39.89″N 2°28’15.06″E.

Je suis dans ma voiture, je roule sur l’A4 en direction de Paris juste avant la sortie n°4 Saint-Maur/Joinville-le-Pont. Le volant dans la main gauche, mon smartphone dans la main droite, j’appuie sur l’écran. La photo est enregistrée dans le téléphone. Cette image deviendra une des 15 peintures qui seront réalisées parmi les 138 captures de mon trajet.

Peinture : Aurélien Vret
A4, Aurélien Vret, 21 × 29,7 cm, aquarelle sur papier noir, 2011

Des souvenirs les plus lointains qu’il me reste de mon enfance, j’ai toujours traversé cette autoroute. Je retrouve le même béton maculé de particules de dioxyde de carbone. J’observe toujours cette même lumière orangée sortant des lampes à vapeur de sodium. Un panneau lumineux fait clignoter le signe « # ». Nous sommes le 13/05/2011. Rien ne se passe. Le véhicule parcourt indéfiniment les kilomètres et « le pare-brise tient lieu d’écran pour une mise en scène paysagère » (1).

ON VOIT RAREMENT DES AUTOROUTES EN PEINTURE

Je peins ce nouvel état de fait avec les moyens numériques disponibles. Comme pour chaque prise de vue, l’œuvre est créée sur un format normalisé A4. Je travaille à partir de flux d’images standardisés, comme un opérateur de flux de circulation. La peinture est appliquée directement sur une enduction noire. Je n’utilise que des couleurs pures qui sont diluées dans beaucoup d’eau. L’image s’équilibre par le jeu des couleurs complémentaires et des contrastes simultanés.

Détail d'une peinture d'Aurélien Vret
A4, Aurélien Vret, détail d’un contraste de complémentaires rouge/vert.

On voit rarement ce genre de paysage en peinture ; la scène est devenue trop ordinaire. Pourtant, l’infrastructure autoroutière laisse place à la composition. Les signaux lumineux et l’éclairage public organisent le coloris. Le rouge des feux arrière des voitures irradie le champ de vision. Les lampadaires noyés d’orange s’enfoncent dans l’horizon à l’infini, et les panneaux directionnels, devenus grenat, s’affichent à contre-jour. Le lieu antique de la pastorale n’a plus de raison d’être. L’harmonie du monde inspirée par la poésie de Virgile est écrasée par l’échangeur autoroutier qui interconnecte les nœuds urbains et accélère la gestion des flux logistiques.

(1) P. Virilio, in Traverses, n°10, « Le simulacre », Centre Georges Pompidou.

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À propos de l'auteur
Je suis plasticien, diplômé de l’École supérieure des beaux-arts de Toulouse (Isdat). Je m’intéresse à la portée du numérique pour les nouveaux rapports qu’il peut établir avec l’art, l’image et la typographie.
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