Photographe de pub, Frédérick Carnet a laissé tomber la vie parisienne pour aller cultiver un lopin de terre en Allemagne. Récit (texte et photos) de cette grande aventure personnelle.
Le chemin qui mène au jardin fut long. Le voyage commença par un enchaînement d’épreuves, une succession de coups de poing dans la gueule : séparation, multiples décès familiaux (quatre cancers en trois ans), trois mois sur les routes du Japon post tsunami/accident nucléaire. La combinaison de tous ces évènements m’a fait prendre conscience que ma vie au quotidien devait changer. Et si le changement fait peur, redéfinir mes bases était vital.
Question de survie.
L’équation de départ était simple sur le papier : fuir une vie parisienne de photographe de pub pour ne pas finir prématurément dans un trou, 6 pieds sous terre. Pour cela, il fallait faire confiance à la vie en provoquant paradoxalement le renouveau sans savoir ce qu’il se passerait. S’affranchir de ses peurs.
2011 : Japon. 2013 : Islande. Trois mois pour chacun de ces voyages. Seul. A vélo. 2014 : Espagne. Compostelle. À pied. Rencontre. Joie. Amour. Christin.
En juillet 2010, je quittai donc Paris sans savoir qu’en avril 2016, je quitterais définitivement la France pour m’installer à la campagne en Saxe avec Christin qui deviendrait mon épouse.
Dès mon arrivée en Allemagne, je savais que j’aurais un jardin. J’avais même anticipé en achetant avant de partir une petite quantité de graines chez Kokopelli. En juin 2016, trois mois à peine après mon arrivée, Christin et moi avons pris possession de trois terrains au sein d’une association de jardinage (il y en a plein outre-Rhin). Trois jardins regroupés sur une surface totale de 375 m2 avec un accès à l’eau et à l’électricité, pour la modique somme d’environ 50 € par an (0,07 € le mètre carré). Oui ! Vous avez bien lu ! Par an !
À cela s’ajoutent nos consommations d’eau et d’électricité qui varient selon les années. Le seul engagement que nous avons avec l’association est d’entretenir le jardin en y faisant pousser des légumes, des fruitiers et des fleurs avec un minimum d’un tiers de la surface dédié au potager (dans notre cas c’est bien plus).
QUELQUES MAUVAISES SURPRISES
La première année fut consacrée quasiment exclusivement au nettoyage et à l’aménagement du jardin. Il fallait reprendre possession d’un espace qui n’avait pas été touché depuis une dizaine d’années et que les anciens locataires avaient quelque peu maltraité. Dès le premier coup de pelle, je suis tombé sur une bâche en plastique de plusieurs mètres carrés, vestige d’une marre et petite cascade artificielles. Et au fur et à mesure que je creusais ici et là, je découvrais l’ampleur du travail à venir. Malgré tout, pour nous donner du courage nous plantions sur une première butte de culture toute fraîchement finie quelques plants de haricots verts, un plant de courgette et un plant de courge pepo zeppelin.
La deuxième année, si nous avons pu cultiver sur une belle surface, le travail d’aménagement était encore loin d’être achevé. Dès avril, je m’attelai à détruire une ancienne cabane. L’espace libéré servirait à la culture l’année d’après. 5 m3 de béton finirent dans une benne pour recyclage ainsi que 10 m3 de bois.
Entre-temps et surtout pendant la période hivernale j’enrichissais mes connaissances de néo-jardinier en lisant beaucoup et en visionnant de nombreuses vidéos sur la permaculture. Car il faut le savoir, je partais vraiment de zéro.
Aujourd’hui, le jardin est complètement redessiné et nous offre une grande surface de culture. Nous avons investi dans deux serres tunnel afin de cultiver tomates, poivrons, aubergines, piments et concombres. Nous avons aussi fabriqué une petite serre pour les salades et les radis et les semis produits en cours de saison. Si nous continuons d’acheter des semences auprès d’un regroupement de semenciers allemands (bio, non hybride), nous faisons en sorte de produire nos propres graines un peu plus chaque année (nous n’achetons plus par exemple de graines de tomates et de haricots ainsi que de pommes de terre).
En commençant ce jardin, mon objectif était de pouvoir être en quasi autonomie de légumes pour l’année, au bout de cinq ans. Il semble que cet objectif sera atteint avant, avec du travail et en corrigeant mes erreurs de débutant au fur et à mesure. Cela représente quelques heures au quotidien mais je me préfère au jardin ou à la cuisine (quel plaisir de préparer des plats avec nos propres légumes qui poussent à 500 m de notre appartement !) que devant un écran ou en faisant des photographies pour vendre de l’eau sucrée.
Redéfinir le sens que l’on veut donner à sa vie n’est pas une mince affaire mais cela vaut le coup. J’ai su trouver une forme de sérénité au quotidien tout en étant en phase avec des valeurs qui me sont devenues chères tout en limitant autant que je pouvais un bon nombre de contradictions que notre modernité tend à vouloir nous imposer.