Des artistes sans-abri logeaient depuis la mi-mars dans un hôtel particulier classé monuments historique, face au Louvre. Ils ont reçu hier un avis d’expulsion sous 24 heures. Récit de la courte et incroyable vie du Miamour, squat au cœur des lieux de pouvoir.
es moments de crise sont toujours des moments de révélation ; des moments où le vernis sociétal se craquèle et laisse apparaître la véritable nature des choses.
Le moment que nous avons traversé -cette crise du coronavirus – n’a pas échappé pas à la règle.
On voyait des gens appeler la police pour dénoncer des voisins qu’ils avaient vu faire du jogging.
On voyait des politiciens mentir encore plus effrontément que d’habitude.
On voyait un préfet de la République accuser les malades de ne pas avoir respecté le confinement.
On voyait des radios, des télés occulter des pans entiers d’antenne pour se concentrer uniquement sur la diffusion de la propagande gouvernementale…
PAYS SOUS CLOCHE
Bref, on voyait la face hideuse de l’humanité ressortir… comme elle ressort toujours en temps de guerre ou de crise. Mais ce que l’on a vu aussi, comme des fleurs qui pousseraient au milieu d’un charnier, ce sont des pulsions de vie inouïes, des solidarités silencieuses sorties de nulle part, des tentatives de continuer de vivre ensemble, malgré tout.
Ainsi de la naissance du squat Miamour sur les quais de Seine.
Alors voilà, ça avait commencé un peu avant que le pays ne soit mis sous cloche, aux alentours du 10 mars 2020.
Un groupe d’artistes squatteurs, composé d’hommes et de femmes, entre 25 ans et 45 ans, s’était réuni avec une idée simple : essayer de s’en sortir.
LA GARÇONNIÈRE DE LOUIS XV
Et, dans ce moment où les laissés-pour-compte allaient être encore plus abandonnés que d’habitude, dans ce moment où les mal-logés allaient se retrouver confinés dans des taudis, eux avaient décidé de poursuivre leur rêve.
Ils avaient repéré depuis peu une adresse incroyable, un lieu magnifique.
Quai Voltaire, tout près du musée d’Orsay, vue imprenable sur la Seine et le Louvre.
L’hôtel de Mailly-Nesle, ancien centre de la Documentation française, dépendant directement des services du Premier ministre.
Appartenant à l’État.
Vide.
7000 m2 somptueux. Avec des salons classés où Louis XV avait l’habitude d’inviter ses maîtresses.
Vides.
Juste à côté de l’immeuble où le milliardaire libanais Hariri avait hébergé les Chirac, en 2008.
Quai Voltaire.
Au moment où tant de SDF avaient besoin de se retrouver confinés dans des lieux sûrs, au moment où l’on réquisitionnait des locaux pour en faire des points de stockage alimentaire, de collecte de produits de première nécessité, ce bâtiment, propriété de l’État, restait vide !? C’était surprenant, voire incompréhensible.
Alors, discrètement, le groupe d’artistes squatteurs s’était introduit dans l’immeuble et avait commencé ce que l’on appelle dans le milieu des squats « le sous-marin », c’est-à-dire l’occupation et l’investissement le plus discret possible de locaux vides et ce afin de ne pas être expulsés immédiatement (la loi dit qu’au delà des quarante-huit premières heures d’occupation, le propriétaire est obligé d’entamer une procédure afin d’expulser les squatteurs).
BESOIN URGENT
Les jours passèrent et au bout de trois semaines le collectif décida de prendre le nom de Miamour.
Ils auraient pu prendre le nom de Cabaret Voltaire, du nom du célèbre café zurichois dans lequel était né Dada, en 1916, mais ils avaient préféré Le Miamour.
Le Miamour était donc né, un collectif composé d’artistes venant d’autres squats et notamment La Capela, le Jardin Denfert, le Post, le 59 Rivoli, le D’Anger, le Collectif 23, le Clocher, etc.
L’objectif était très simple : on sait, depuis bien longtemps, que les artistes plasticiens sont les plus précaires des précaires. Là où certains systèmes de sécurité sociale et de chômage existent pour les intermittents où les musiciens, il n’existe RIEN pour les plasticiens qui sont régulièrement pointés par les enquêtes sociologiques comme les plus pauvres de tous.
C’est pourquoi, il était urgent d’ouvrir un lieu, afin d’accueillir tous les artistes sans logement, sans toit, sans atelier.
Parmi eux, des champions de danse brésiliens et leur enfant en bas âge, un sosie de Jack Sparrow venu de Malaisie, une sexagénaire ex-SDF, des plasticiens, des graffeurs, des costumières, des deejays, etc.
A ceux qui les critiquèrent d’avoir ouvert en plein confinement, les membres du Miamour rétorquèrent qu’ils avaient été prudents, qu’ils avaient respecté les gestes-barrière et qu’il valait mieux faire preuve de solidarité plutôt que de se retrouver seul et sans ressources.
LETTRE D’HUISSIER AU MIAMOUR
Après deux mois passés au 29-31 quai Voltaire, tout près de la rue du Bac, et en face du Louvre, le collectif produisit un dossier de presse.
Les espaces avaient été distribués.
Une trentaine d’artistes travaillaient sur place.
Le monde allait bientôt connaître l’existence de ce lieu extraordinaire.
Malheureusement, une semaine seulement après la date du déconfinement – le 11 mai dernier –, les occupants du Miamour reçurent une lettre d’huissier leur apprenant qu’ils allaient être jugés de façon expéditive, selon un nouveau décret passé en urgence pendant la crise sanitaire.
À peine nés, ils étaient déjà menacés de mort.