Avec La femme parfaite, Patrick Deville s’est affirmé comme un auteur au style impassible, typique du courant minimaliste. Le héros de ce livre définit les autres par leurs vêtements et leurs marques. Un exercice de style hyper-réaliste.
Le pitch
Un agent du Quai d’Orsay part pour Cuba avec une valise diplomatique et un passeport à remettre là-bas à Olga, une femme, belle, parfaite. Ils passent une soirée ensemble, il la ramène à son hôtel, puis le lendemain il repart pour Paris. Il trouve Olga morte chez lui. Il y a un témoin.
Mon humble avis
Le voyage à Cuba a beau être banal, il y a un avant et un après. Le héros s’ennuie mais nous pas, car il nous raconte la guerre froide. Son détachement n’annule pas totalement la narration. Les noms de marque fragmentent le récit, je les ai perçus comme le seul rempart contre l’ennui du héros. Ils sont associés à des couleurs et des textures qui dégagent une chaleur agréable au milieu de la froideur du récit.
Une phrase du livre
« Au centre du monde et sur la terrasse de la Samaritaine se dresse une table d’orientation ainsi qu’un couple enlacé. »
Un extrait du livre
« Le bar pourrait s’appeler Le Ciel de La Havane mais il s’appelle Café Salsa. Les baies panoramiques mettent à vos pieds le Malécon que doublent les sinuosités violettes du Gulf Stream à l’horizon, où glissait un pétrolier rouge et noir. A la verticale, entre mes semelles, le soleil dansait dans l’eau bleu clair de la piscine du Capri, comme suspendue en plein ciel sur le toit terrasse au vingtième étage de l’hôtel, entourée de petits sapins dans des bacs. Trois femmes bronzaient sur des transatlantiques alignés. Au-dessus des tables s’éployaient des parasols rouges de la marque Tropicola.
Olga ne prenait pas son petit déjeuner au bord de la piscine.
La réverbération dessinait sur le mur blanc des marbrures mobiles et mordorées qu’agitaient les gestes des nageurs. Je commandai un café, déposai devant moi l’enveloppe de Robin, pensai que j’étais sur le point de rencontrer Olga.
Un minuscule lézard vert pomme à ventouses, un gecko, se promenait sur la vitre à l’extérieur. […] De la même façon qu’on estimait que l’espèce humaine s’était répandue sur l’ensemble de la planète au rythme d’une cinquantaine de kilomètres par génération, les geckos avaient envahi la tour.
Il était onze heures moins cinq lorsque j’entrai au Capri. J’avais le numéro de la chambre – 1009 -, que j’appelai de la réception.
Elle me demanda pourquoi j’arrivais si tard, en espagnol. La voix était autoritaire. Olga s’adressait à moi comme au chasseur de l’hôtel qu’elle eût envoyé lui acheter un journal.
Patrick Deville, La femme parfaite, Les éditions de minuit, 1995, 154 pages.