Depuis le 9 novembre, je me demande pourquoi un peuple qui a élu et réélu Barack Obama, le premier président noir mais aussi l’un des chefs d’État les plus gracieux et charismatique que les États-Unis aient connu, choisit huit ans plus tard son antithèse parfaite en la personne de Donald Trump.
D’après les analyses des votes, c’est l’homme blanc de plus de 45 ans, peu ou pas diplômé, vivant en zone rurale, qui a élu le républicain. Il y a quelques années, je m’étais rendue dans ces campagnes du Midwest qui ont pesé dans la victoire de Trump. Je me souviens de hameaux traversés par une grande route. Il y avait un bar, parfois un restaurant ou l’on mangeait des hamburgers, une station service, voire une laverie…
Une amie m’avait présentée à un de ses copains de la classe moyenne. Trop pauvre pour payer un loyer, il logeait à l’année dans un camping-car – ses voisins vivaient dans les mêmes conditions. À l’époque, il sortait de l’armée, était au chômage et dépensait ses maigres revenus dans la marijuana et la bière, consommés devant la télévision allumée la journée entière. Un quotidien qui respirait la détresse mais aussi le désert culturel et l’ennui.
Certains des électeurs de Trump ont sans doute regardé les débats télévisés dans les uniques bars de ces petites villes en sirotant leur bière fade à la bouteille. Avec son langage simple, Trump a su s’adresser à eux. Certains aussi ont pu être fascinés par celui qui s’est inventé une légende de self-made-man, eux rêvant de lendemains meilleurs qui ne viendront probablement pas… Outrancier, Trump a su aussi être le porte-voix de leur colère et de leur frustration. Tandis qu’Hillary Clinton (une femme qui plus est) incarnait l’élite à abattre, l’élite qui les méprise, l’élite qui les délaisse.
Comment la frange extrême de cet électorat a-t-elle vécu les années de présidence d’un noir élégant et fin mettant symboliquement en danger la suprématie blanche ? Très mal, certains le haïssaient. Et c’est aussi par réflexe identitaire qu’ils ont élu son exact opposé.
Je m’interroge aussi sur la raison pour laquelle, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, les populistes parviennent si facilement à jouer sur la corde émotionnelle d’un électorat aux abois. Qu’est ce qui explique ce boulevard laissé par les élites politiques traditionnelles, déconnectées du peuple et de ses réalités psychiques ? Sans doute ne valorise-t-on pas suffisamment l’intelligence émotionnelle dans les grandes écoles… Outre une attention à un programme politique de fond, il serait temps pour certains responsables politiques de s’ouvrir à cette dimension. Sans quoi, le déferlement de cette vague d’extrémistes démagogues n’est pas près de s’arrêter.