« Et si on circulait librement dans un monde sans visa? »

Interview de Jean Rousseau, président d’Emmaüs International : à l’heure où l’Europe ferme ses frontières, il prône la citoyenneté universelle.

Crédit photo : Syria Freedom
Des migrants syriens traversent la Hongrie, septembre 2015. (Crédit photo: Syria Freedom)

Lors de ma chronique précédente sur l’invention du passeport universel, je vous parlais de Lucy et Jorge Orta qui nous proposaient de devenir citoyens de l’Antarctique. Allons plus loin, voyons plus grand ! Un passeport unique pour chaque être humain sur Terre. Ce projet est porté par l’OCU, Organisation pour une Citoyenneté Universelle, qui regroupe Emmaüs International, France Libertés et le mouvement Utopia.

Le passeport de l’OCU est distribué symboliquement à des personnalités qui soutiennent l’idée d’une ouverture des frontières. Depuis sa création, il a ainsi été remis à Taslima Nasreen, Edgar Morin, Stéphane Hessel, Pierre Rabhi, Guy Bedos, Miguel Ángel Estrella, Florence Arthaud, Tiken Jah Fakoly, Lilian Thuram, Daniel Cohn-Bendit, Riccardo Petrella et bien d’autres… Nous avons rencontré Jean Rousseau, président d’Emmaüs International et nous lui avons posé quelques questions.

Comment est née l’idée du passeport pour une citoyenneté universelle ?
Jean Rousseau : De l’envie de faire vivre enfin l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur la libre circulation. Quel meilleur symbole et outil politique que le passeport, document de voyage ? Celui que propose l’OCU préfigure celui de demain, sans visa !

Capture d'écran de Télé Sud Est
Jean Rousseau au Forum mondial de la pauvreté, Lescar-Pau, juillet 2012. (Capture d’écran de Télé Sud Est)

Alors que les capitaux circulent, que les gens les plus aisés peuvent s’installer où ils le souhaitent, nous voyons que les populations les plus défavorisées sont bloquées. Le politique a-t-il du retard sur l’économique ?
Je crois que le mal est bien plus profond. Le système économique qui s’est développé depuis cinquante ans, sur des choix éminemment politiques, est celui du marché. Les déplacements de populations en sont une illustration, aggravés par le contournement de la protection prévue par les conventions internationales. Le politique, ici, se renie ou est dramatiquement absent, et dans le cas de l’Europe, il est incapable d’un sursaut devant la souffrance et la mort d’innocents dont il est responsable, ou même de penser à sauver les valeurs morales qui ont présidé à la fondation de l’Union.
La loi du marché est la loi du plus fort. Comment s’étonner qu’elle se traduise par le gaspillage aveugle des ressources, la concentration des pouvoirs, le recul du bien commun ? La liste est longue des désordres économiques et financiers dont les caractéristiques principales sont le développement exponentiel des inégalités, le maintien dans la pauvreté extrême et des formes de relégation.
Repenser notre perception des migrations, remettre en question notre occidentalo-centrisme, penser la nécessaire ouverture des frontières, voici donc les prochains enjeux pour l’OCU.

Jean Rousseau : « Après-guerre, dans la Déclaration des droits de l’homme de 1948, le droit et les libertés sont des remparts contre la barbarie. Pour ses concepteurs, c’est bien une citoyenneté universelle qui devait accompagner la mondialisation déjà en marche. »

Depuis la Cop21, nous voyons que les questions migratoires et environnementales sont étroitement liées (réfugiés climatiques, question des biens communs…). Est-ce là un des enjeux du 21e siècle ?
Nul doute que la question de la mobilité sera centrale dans les décennies à venir. D’abord, parce que c’est un des effets de la mondialisation, l’une renforçant l’autre et réciproquement. Ensuite, parce que les migrations « forcées » ne sont pas près de s’arrêter : qui pourrait dire aujourd’hui que l’on s’oriente sérieusement vers la résolution des conflits, un recul notable de la désertification, l’occurrence décroissante des catastrophes naturelles liées au dérèglement du climat ? La Cop21 a donné de la visibilité à tout cela, mais sans perspective de prise en compte dans le droit international pour l’instant.

N’y a-t-il pas une contradiction entre les termes « citoyenneté », qui appartient à la cité, et « universelle », qui est pensé à l’échelle mondiale ?
Historiquement, pas du tout. Dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le concept de citoyenneté renvoie avant tout à la notion de droits pour tous les humains – une révolution de la pensée politique et philosophique. La Déclaration universelle de 1948 intervient, elle, dans le contexte immédiat de l’après-guerre, avec la prise de conscience qu’après les cataclysmes de la première moitié du 20e siècle, il faudrait penser le monde autrement : en commençant par asseoir le droit et les libertés, remparts contre la barbarie et base pour fonder la paix. Dès cette époque et dans l’esprit de ses concepteurs, c’est bien une citoyenneté universelle qui devait accompagner la mondialisation déjà en marche.
Le défi était à la hauteur des évènements lors desquels des populations entières et un patrimoine considérable ont été rayés de la carte : c’est pourquoi tant de nations ont signé cette déclaration. Le défi serait-il secondaire aujourd’hui ? Les périls d’une moindre intensité ? Le peu de valeur accordé ces temps-ci à la vie humaine devrait réveiller les mémoires et le recours au droit, contribuer à briser l’indifférence qui domine… et qui tue. »

La charte de l'OCU
1. Toute personne a le droit de circuler librement, de s’installer sur n’importe quel territoire sans visa, et de bénéficier des mêmes droits sociaux et économique qu’un citoyen national.

2. Une autre politique de migrations est nécessaire face aux dispositifs meurtriers de fermeture et de militarisation des frontières.

3. Une conférence internationale sous l’égide des Nations unies est nécessaire pour assurer la garantie du droit humain fondamental de circulation et d’installation reconnu par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Vous voulez soutenir cette organisation ? Vous pouvez créer ici votre passeport virtuel et/ou commander le couvre-passeport de l’OCU à 2 €.

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À propos de l'auteur
Journaliste à l’Alter JT, comédien, vidéaste, touche-à-tout… Je m’intéresse particulièrement aux sujets écologiques et sociaux et à l’art contemporain.
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Une réponse

  1. Je suis en train d’imaginer vivre dans un monde sans besoin de visa pour bouger, un monde où l’on peut circuler librement.
    Le fait que mon chéri soit juste au bout du monde sans moi c’est triste, juste une question de Visa fait que l’on doit vivre loin des yeux près du cœur, j’aurais bien aimé me lever tous les matins à coté de lui. On dit l’amour n’a pas de frontière mais le Visa en met une.

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