Les Pinocchio du « développement durable »

Témoignage : le journaliste Antoine Bonnet, qui a remis en pleine Cop21 les prix Pinocchio à des multinationales polluantes, nous raconte sa soirée.

Photo : Louise Brahiti
Remise des prix Pinocchio le 3 décembre 2015 à la Flèche d’Or (Paris). Sur scène: l’activiste Estelle Brattesani et le journaliste Antoine Bonnet (présentateur de la cérémonie et auteur de cet article). Photo: Louise Brahiti.

Jeudi 3 décembre à La Flèche d’or (Paris 20e), j’ai remis à EDF, BNP Paribas et Chevron les prix Pinocchio du climat 2015, décernés par les Amis de la Terre et d’autres organisations partenaires. Chaque année, le mouvement écologiste « récompense », de manière satirique, les meilleurs opérations de greenwashing (1), de lobbying et les pires impacts locaux des entreprises ou des institutions publiques.

Depuis 2010, je coprésente cette cérémonie. Cette année était bien évidemment particulière. D’une part, elle a failli être annulée à la suite des attentats de novembre ; d’autre part, la Cop21 décuple tout.

15h00 : à la virgule près
Ma compère Estelle Brattesani et moi arrivons à la Flèche d’Or, haut lieu de mon adolescence, où j’ai découvert un nombre incalculable d’artistes en tous genres, où j’ai appris aussi qu’il faut savoir rentrer à la maison au bon moment !

Nos textes de présentation des différents nominés ont été lus et relus à la virgule près. Les « heureux élus » sont des gens très procéduriers, il ne faut pas risquer le procès…

18h : les médias sont là
La conférence de presse constitue le moment-clé de cette cérémonie, dont le but est avant tout médiatique. Il s’agit, comme le dit Florent Compain, président des Amis de la Terre, de  «mettre le focus sur certaines pratiques des multinationales». Une trentaine de journalistes ont fait le déplacement : de grands médias français, des médias étrangers, des journaux écologistes… Gros succès.

19h30 : boubous & bobos
On monte sur scène, Estelle et moi, et l’on constate que la salle est une véritable « cour » de Babel. Entre deux faisceaux lumineux de spots, on aperçoit des Indiens, des Africains en boubous, des bobos, des Latinos… Et tout le monde est là pour en tirer quelque chose. Les prix Pinocchio ont ceci de particulier qu’on en ressort toujours avec quelques chiffres, quelques cas bien précis et un regain de révolte en plus.

19h45 : EDF, lauréat du prix du Greenwashing
Sponsor officiel de la Cop21, EDF a lancé une campagne publicitaire à grande échelle vantant les vertus du nucléaire comme énergie « propre » et « sans CO2 ». Lui remettre un prix et l’applaudir chaleureusement est un peu difficile à avaler pour certains militants, mais la cérémonie est un spectacle plein d’humour noir, pas un réquisitoire à charge.

20h : Chevron, lauréat du prix du Lobbying
Quelques mots de Farah Kabir, présidente d’ActionAid au Bangladesh, puis nous remettons le prix du meilleur lobbying de l’année au géant pétrolier Chevron, embarqué dans une campagne mondiale de promotion du gaz et pétrole de schiste avec le soutien de la diplomatie américaine. Énorme cynisme quand on sait à quel point ces pratiques sont criminelles pour l’environnement et pour la démocratie. Chevron excelle dans le domaine. Ils ont fait voter un décret spécialement pour eux en Argentine : le décret « Chevron ». Bravo, Chevron !

20h22 : BNP Paribas lauréat du prix Impacts locaux
En Inde, la banque internationale est impliquée dans une centrale à charbon à la réputation sinistre, Tata Mundra. La poussière de charbon et la cendre issue de sa combustion qui retombent du ciel contaminent les terres agricoles et les nappes phréatiques locales. Les résidents se plaignent d’une augmentation des douleurs de poitrine et de problèmes respiratoires. Après avoir (une nouvelle fois) récompensé BNP Paribas pour ses financements de centrales à charbon dévastatrices, nous appelons une figure du militantisme : Nnimmo Bassey, ancien président des Amis de la Terre International. Écrivain et militant nigérian très charismatique, il clôture la soirée avec une verve acerbe et très élégante.

www.prix-pinocchio.org
www.prix-pinocchio.org

21h : la société du spectacle
Comme à chaque fois que je monte sur scène, la chute d’adrénaline engendre un contre choc « post-partum », surtout lorsque la salle, festive, se vide à la fin du concert suivant. Puis, tristesse et soulagement laissent place à l’impatience de voir ces entreprises brocardées dans les médias.

Car l’exercice n’est pas juste une farce médiatique. Régulièrement, les entreprises lauréates voient leurs investissements remis en cause et les législations évoluer. Mais je vous rassure, ce n’est pas un gentil grillon qui a soufflé à l’oreille de Pinocchio. C’est la pression de la société civile qui fait changer les choses. Notre société du spectacle est telle qu’il faut, malheureusement, mettre en scène ces catastrophes de manière ludique pour enfin toucher l’opinion.

(1) Promouvoir une image « verte » malgré des pratiques destructrices pour l’environnement.

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À propos de l'auteur
Journaliste à l’Alter JT, comédien, vidéaste, touche-à-tout… Je m’intéresse particulièrement aux sujets écologiques et sociaux et à l’art contemporain.
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