Éjectés manu militari, les artistes trouvent un hébergement d’urgence mais tout est à recommencer. Ainsi s’achève l’emblématique histoire du squat ouvert grâce à un « post » Facebook.
Le feuilleton Squat story est raconté ici par Gaspard Delanoë, figure historique des squats d’artistes parisiens, ouvreur d’immeubles vides dont le célèbre 59 Rivoli, conventionné avec la Ville de Paris. Dans le précédent et avant-dernier épisode, il narrait la prise ratée, par ses amis et lui, de trois immeubles mitoyens à Saint-Germain-des-Prés et se demandait ce qu’allaient devenir les artistes virés du Post, ce squat de la rue Blanche enfanté par un post Facebook. Dans ce 17e et dernier épisode, Gaspard Delanoë nous raconte la fin du Post, l’aventure 2.0 qui aura marqué l’histoire des squats parisiens…
égoûtés, éreintés par trente-six heures d’occupation qui s’étaient terminés par une humiliation, les membres du Post durent se faire violence pour rapatrier en catastrophe toutes leurs affaires de la rue Blanche vers le Jardin Denfert.
En désespoir de cause, il n’y avait plus que cela à faire car nous étions le 29 octobre 2019.
Et il ne restait que deux jours pour solder cette fantastique aventure de dix mois qui avait écrit l’une des plus belles pages de l’histoire des squats de Paris.
Sauver ce qui pouvait l’être.
Mobiliser les vans des deux potes qui en possédaient et faire des aller-retour non-stop en embarquant meubles, matelas, outils, œuvres, chaises, tables.
Sans oublier le chat Rocco, la mascotte du Post.
Bien entendu, l’arrivée in extremis de membres du Post au Jardin Denfert bouscula un peu les choses. Il fallait faire de la place aux nouveaux entrants, alors qu’on s’était dit depuis des semaines que l’on ne ferait plus rentrer personne au Jardin car le lieu était plein.
Oui mais voilà.
Nécessité, une nouvelle fois, devait faire loi.
On se serra.
On poussa un peu plus les murs.
POLICIERS CONTRE PRÉCAIRES
Et puis, le 1er novembre, jour de la fête des morts, on s’endormit.
Tout comme les bâtiments du 37, 39 et 41 de la rue Jacob allaient eux aussi s’endormir, et être rendus au silence.
Le silence des rats.
Comme tant de fois dans la longue histoire des squats de Paris, les autorités avaient choisi d’envoyer des forces de l’ordre contre des précaires.
Ainsi, les autorités préféraient voir un lieu vide, vacant, mort pendant des mois, des années, plutôt que de le savoir occupé par des êtres vivants.
« PAS TOUCHE ! »
C’était cela, le droit de propriété.
Le droit des possédants de laisser crever au bas de leur immeuble vide des SDF, des précaires, des mendiants.
C’était comme si, en fait, les possédants avaient installé dans la rue une énorme réserve de victuailles, à portée de main, sur une table et juste au-dessus un grand panneau avertissant : « Pas touche, sous peine de poursuites ».
Jamais nous n’avions ressenti avec autant d’acuité les mots de Proudhon : La propriété, c’est le vol.
L’hiver approchait. Seul dans la pénombre un maigre néon éclairait l’angle des rues de la Tombe-Issoire et du boulevard Saint-Jacques, et dans l’immense bâtisse en briques rouges aux airs de caserne s’entassaient des hommes et des femmes sans visage, aux confins de la nuit.
Je repensai aussi aux mots d’Henri Grouès : Il faut que la voix des hommes sans voix empêche les puissants de dormir.
On s’endormit donc.
Les poings serrés.
La rage au ventre.♦
– L’ENSEMBLE DE CE RÉCIT EST DÉDIÉ À LA MÉMOIRE DE JB DUG.